Traces de vie

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Leo Cahn, mon grand oncle paternel : 23 juin 1903 – 31 décembre 1943

Leo avec sa soeur Fanny et ses parents Dilla et Ferdinand vers 1920

Il y a un an et demi, je ne savais pas grand-chose de Leo Cahn, le frère de ma grand-mère paternelle. Sa personnalité se résumait en fait à quatre lignes d’un petit texte nommé Brindilles dans lequel mon père, Herbert, livrait à ses descendants ses repères familiaux :


Leo, qui avait la réputation de n’avoir jamais rien fait de ses dix doigts et d’avoir vécu aux crochets de sa mère Dilla, vivait avec elle dans la propriété qu’elle avait achetée à Bry-sur-Marne, y élevait des abeilles et y vivait en concubinage avec Edith X, elle aux crochets de la mère et du fils, sans enfants. 
Herbert Wachsberger, vers 1990

Je savais bien entendu qu’il avait été déporté de France vers Auschwitz d’où il n’était pas revenu. Mais c’est à peu près tout.

Puis j’ai reçu un jour un message de Christophe Ollagnier, un historien amateur habitant Bry sur Marne, qui avait vu sur mon arbre généalogique en ligne que j’étais apparenté aux Cahn lesquels, dans les années 1930-1940, avaient été propriétaires d’un hôtel particulier à Bry-sur-Marne. Si je connaissais l’existence de cette propriété, je n’avais qu’une idée limitée de ce à quoi elle ressemblait. Christophe me révéla l’existence d’un article de 2 pages que l’historien de la ville avait consacré à cette maison. Il me donna également les coordonnés de Yann Mars, descendant d’une famille juive passée par Sarrebruck et ayant habité à Bry-sur-Marne à la même époque que Leo et Dilla. Yann faisait lui aussi des recherches sur sa famille.

C’est ce dernier qui m’apprit l’existence du « fonds de Moscou », ces archives administratives françaises que l’armée du troisième Reich avait déplacées en Allemagne pendant la guerre, mais que les troupes soviétiques avaient saisies en 1945 et conservées à Moscou jusqu’à la fin des années 1990. J’y ai trouvé plusieurs dossiers sur des membres de ma famille dont un de plusieurs pages sur Leo, contenant ses échanges avec l’administration française. Ce sont ces traces de papier qui, les premières, ont redonné un peu de vie à ce grand-oncle disparu. Il ne me restait alors plus qu’à tirer le fil de la bobine.

Leo Cahn naît le 25 juin 1903, à Sankt Johann, un quartier de Sarrebrück. Ses parents, Ferdinand Cahn, originaire de Burgwaldniel et Dilla Cahn, née Weil, originaire de Rust, en bord du Rhin, possèdent, depuis 1910 un grand magasin de mode au numéro 3 de la Bahnhofstrasse, au cœur de Sarrebruck. Dilla travaille avec son mari dans le magasin.  La sœur de Leo, Fanny (ma grand-mère), naît trois ans plus tard, le 11 octobre 1906.

La Bahnhoffstrasse vers 1900
La Bahnhoffstrasse vers 1900

Leo fait ses études à l’Ober-Realschule de Sarrebruck, un lycée de garçon orienté vers les sciences naturelles (il y avait, à quelques pas, un autre lycée plutôt orienté vers les humanités, le Ludwigs Gymnasium). Selon deux témoignages (fournis après la guerre dans les dossiers d’indemnisation déposés par sa femme Edith /voir plus loin) il y reçoit une « solide formation », y compris en français.

Il faut rappeler que la Sarre était depuis 1919 sous le contrôle de la société des nations laquelle avait donné mandat à la France pour qu’elle l’administre. L’un des mesures prises fut d’imposer la langue française comme matière obligatoire dans toutes les écoles du district. Une autre fut l’ouverture d’écoles en français pour les ouvriers français mais aussi ouvertes aux allemands (ici).  

Il ne poursuit semble-t-il cependant pas d’études supérieures. En 1924, à 21 ans, il figure en effet dans l’annuaire de Sarrebruck, avec la mention « commerçant. ». Le magasin de ses parents apparaît juste au-dessus. Son adresse, 5 Vicktoriastrasse est aussi l’adresse de ses parents comme en témoigne la carte d’habitation de la famille Cahn (au nom de Ferdinand) à Sarrebruck.

Adressbuch der stadt Saarbrücken 1924

Les cartes d’habitation

En Allemagne, il y avait (et il y a encore aujourd’hui) une obligation de déclaration à la police (aujourd’hui l’Ordnungsamt). Cela signifie que chacun doit déclarer son domicile et son changement de domicile. Les propriétaires étaient également tenus de déclarer leurs locataires à leur arrivée et à leur départ.
La carte ci-dessus est au nom de Ferdinand Cahn. Les cartes sont en effet toujours établies au nom du chef de ménage, c’est-à-dire en général le père ou le mari. Les épouses et les enfants sont inscrits sous son nom. On note sur cette carte la mention des deux enfants, Leo et Fanny. Autrefois, il fallait même signaler une absence temporaire, c’est-à-dire un voyage ou des vacances, s’il s’agissait de plus d’un jour.

De septembre 1925 à Février 1930, Leo est établi comme commerçant à Metz dans une chambre meublée chez monsieur et madame Werguet. Je ne suis pas arrivé à savoir, jusqu’à présent, à quel type de commerce il se livrait là.

Son père décède le 18 novembre 1933, à l’âge de 61 ans. Sa mère Dilla reprend alors la direction du magasin mais le revend le 31 mars 1934 sans que j’en connaisse la raison.

Il faut rappeler que la Sarre était sous contrôle de la Société Des Nations depuis la défaite allemande de 1918. Les Juifs sarrois vivaient donc encore à l’abri de la montée du nazisme. Mais Dilla était veuve, sa fille Fanny avait quitté Berlin avec son mari Oskar pour s’installer à Courbevoie depuis 1936,et elle savait aussi que se tiendrait sous peu le référendum Sarrois qui risquait de rattacher la Sarre au troisième Reich (même si le rabbin de Sarrebruck de l’époque, Friedrich « Schlomo » Rülff, et quelques autres représentants de la communauté juive s’étaient efforcés, avec un mauvais pressentiment, d’obtenir pour les Juifs de la Sarre une réglementation exceptionnelle ou transitoire qui devait les empêcher d’être soumis dès le 1er avril 1935 aux lois anti-juives en vigueur dans le Reich allemand / Source : Michael Jurich, Landeshauptstadt Saarbrücken – Der Oberbürgermeister, Stadtarchiv).

A la fin de 1934, selon ses affirmations dans des courriers échangés avec l’administration française, Léo émigre en France muni d’un passeport sarrois. Au même moment, sa maîtresse non-juive, Edith Serrière, qui était mariée et avait un enfant de 8 ans, sollicite sa naturalisation française au consulat de France à Sarrebruck.

Le 13 janvier 1935 a lieu le référendum Sarrois. Trois options s’offraient aux électeurs : – Maintien du régime de statuquo (sous gouvernement international) : – Union à la France ; – Union à l’Allemagne

Les habitants de la Sarre ayant le droit de vote se sont prononcés à plus de 90% pour le rattachement à l’Allemagne. La date du rattachement fut fixée au 1 avril 1935.

Arbeiter Illustrierte Zeitung, 1935
Traduction : La mort attaque la Sarre. Mais il est en votre pouvoir qu’elle ne puisse pas vous étrangler.
Votez pour le statu-quo ! Protégez votre vie !

La Sarre obtint cependant un statut dérogatoire temporaire. Après des détours politiques et sous la pression de la Société des Nations, l’Allemagne signa en effet la Convention de Rome, par laquelle elle renonça jusqu’au 29 mars 1936 à l’application des lois anti-juives dans la Sarre (uniquement pour les Juifs qui y résidaient déjà avant le vote). Cela permit aux juifs sarrois de quitter légalement la Sarre pour l’étranger en emportant leurs biens, alors que les juifs du Reich allemand devaient eux, lorsqu’ils quittaient le territoire, payer la « Reichsfluchtsteuer » (taxe sur la fuite du Reich).

Le 22 mai 1935. Dilla, la mère de Leo, émigre à son tour en France avec un passeport allemand. Leo et Dilla s’établissent à Courbevoie au 1 allée du midi, dans l’immeuble occupé par Oscar (Oskar a modifié l’orthographe de son nom en arrivant en France) et sa famille, mais dans un autre lot (loyer annuel, 7 000 francs). Lors du recensement de 1936, les Wachsberger sont indiqués comme étant tchèques. Ils logent une cousine, Rita Rosenberg, de nationalité allemande. Dilla et leo sont indiqués comme étant sans profession et de nationalité allemande. Edith, elle, habite au 82 rue de Colombes, à quelques mètres de là.

A partir de l’année 1935, Leo et Dilla cherchent à se fixer officiellement et définitivement en France et à obtenir des papiers d’identité. En novembre 1935, Leo demande sa naturalisation française pour la deuxième fois. Dilla, elle, écrit au ministre de l’intérieur pour obtenir le droit de se fixer en France.  Elle rappelle que son fils a demandé sa nationalité et est susceptible de remplir ses obligations militaires. Elle précise qu’elle a un frère en France, de nationalité française (son frère, Isaac Frédéric est établi en Alsace depuis de nombreuses années et a été naturalisé français en 1928) et que son fils et sa fille sont installés à Courbevoie. Elle obtiendra l’autorisation de rester en France en juillet 1936 « sous réserve de n’occuper aucun emploi », sans disposer pour autant de papiers d’identité « français ».


Leo, quant à lui, sollicite le statut de réfugié sarrois qui donne droit, à partir du 16 novembre 1936 à la délivrance d’une carte d’identité de « réfugié sarrois » (et permet de disposer d’un passeport Nansen)  pour  se déplacer à l’étranger.

Le passeport Nansen

Le « passeport Nansen » est un document d’identité, rédigé en français et dans la langue du pays d’accueil, qui a été reconnu dès 1924 par 38 États (dont la France), permettant aux réfugiés apatrides de passer les frontières. Imaginé en 1921, il a été créé. comme certificat d’identité et de voyage le 5 juillet 1922 par la conférence internationale de Genève grâce à Nansen qui créa « l’Office international Nansen pour les réfugiés ».

Il obtient ce statut le 10 novembre 1938 et bénéficie en mars 1939 d’une bourse de l’office international Nansen pour son reclassement professionnel comme ajusteur. Il entre alors au Centre de Reclassement Professionnel pour l’artisanat et l’agriculture à Paris, pour y recevoir une formation d’ajusteur. (Le centre de Reclassement Professionnel était une organisation relevant du ministère du travail dont la vocation était la rééducation professionnelle des réfugiés étrangers). En avril 1939, il n’avait cependant pas encore de papier officiel. Dans le document ci-dessus datant du 3 avril 1939, le ministère des affaires étrangères indique qu’il ne s’oppose pas à la délivrance d’un certificat d’identité « si l’origine sarroise de celui-ci est nettement prouvée ». Je ne sais pas s’il finit par obtenir ce document avant le début de la guerre. Quoiqu’il en soit, son statut de réfugié ne le protègera pas de l’internement comme potentiel ennemi de la France, on le verra plus loin.

Le 5 juin 1936, Léo et Dilla constituent la société immobilière Beausoleil en vue de l’acquisition et l’administration d’une propriété sise au 53 avenue de Rigny à Bry sur Marne. Le nom de la société leur est très certainement inspiré par celui de la résidence de Courbevoie où ils ont habité en arrivant en France et où habitent Oscar, Fanny et leur fils Herbert.

Léo est déclaré gérant-associé et Dilla associée mais elle apparaît barrée en rouge dans le registre, comme si elle avait changé de statut. La propriété est achetée le 8 juin 1936 pour 190 000 francs (à un couple d’origine polonaise, criblé de dettes. L’argent de la vente est immédiatement saisi pour le règlement des dettes). Leo y habite, vraisemblablement avec Edith. Il se consacre à l’élevage de volaille, qui, selon des témoignages fournis après guerre dans un dossier de demande de dédommagement déposé par Edith, pouvait lui rapporter 200 000 francs par an, et il dispose aussi d’« une rôtissoire à café » (sic !).

La propriété dispose de plusieurs lots qui sont loués. L’un est occupé par Flora Vogel, l’arrière grand-mère de Yann Mars.

Il semblerait que Dilla reste habiter à Courbevoie, à côté de sa fille Fanny, de son gendre Oskar et de son petit-fils, Herbert (Elle dit, dans une lettre à son frère Isaac Frederic, qu’elle a toujours dormi avec Herbert depuis qu’il a 4 ans).

La résidence Beau Soleil au 1 allée du midi à Courbevoie. Photo de 2024
L’hôtel particulier du 53 avenue de Rigny à Bry sur Marne en 1945

Le 1er septembre 1939, l’Allemagne envahit la Pologne et déclenche la Seconde Guerre mondiale en Europe.  Le 3 septembre 1939, honorant leur garantie des frontières de la Pologne, la Grande-Bretagne et la France déclarent la guerre à l’Allemagne.

Le 5 septembre 1939, par voie d’affiches et d’annonces radio, il est ordonné à tous les ressortissants masculins de la Grande Allemagne (y compris les Autrichiens, les Sarrois et les Tchèques), âgés de dix-sept à cinquante ans, de se présenter aux centres de rassemblement désignés. Pour la région parisienne, c’est le stade olympique de Colombes qui a été affecté à cette fonction. Un décret-loi du 12 avril 1939 indiquait que les nombreux Allemands, Autrichiens et Centre-européens venus en France dans les dernières années pourraient être amenés à servir l’armée française. Le libellé du décret était clair : les étrangers bénéficiaires du droit d’asile seraient « soumis aux obligations imposées aux Français par les lois du recrutement et de l’organisation de la nation en temps de guerre ». La plupart des ressortissants de la grande Allemagne se présentèrent ainsi spontanément dans les différents lieux de rassemblement. Plusieurs journaux témoignent de celui du Stade de Colombes que Paris-Soir nomme « camp de concentration », en dépit de la demande des autorités de l’appeler « centre de rassemblement ».

Journal Paris-Soir, 7 septembre 1939

Les premiers camps de concentration sont ouverts pour les ressortissants allemands

Le premier camp de concentration vient d’être créé. C’est au stade olympique de Colombes que les premiers Allemands ont été conduits. D’ailleurs, le ministère de l’intérieur communique :
Les nationaux de l’empire allemand devront, s’ils ne l’ont déjà fait, rejoindre immédiatement et sans délai le centre de rassemblement étranger du stade olympique Yves-du-Manoir à Colombes.
Les autres ressortissants demeurant en province doivent s’adresser à leur mairie ou au commissariat de la localité.
Jusqu’au moment où ils quitteront leur résidence pour rejoindre le centre de rassemblement, les étrangers et leur famille ne pourront, sans autorisation spéciale, quitter la localité où ils résident.
Les étrangers convoqués devront arriver au centre de rassemblement ou de recueil avec deux jours de vivre, le matériel nécessaire à leur alimentation (fourchette, gamelle ou assiette, cuillère, quart), une grande couverture (à défaut deux petites) et une collection d’effets de rechange. Ils ne pourront apporter que des bagages à main

Une commission de criblage (entendre triage) devait déterminer qui, parmi ces étrangers, étaient des ennemis de la France et qui pouvait (devait) servir l’armée française dans la guerre. Le but du criblage n’était pas seulement de déterminer qui était loyal et pouvait être libéré, par opposition à qui pouvait constituer une menace nationale, mais aussi de mettre au travail les hommes en âge de porter les armes qui étaient jugés loyaux à la France. Ces prestataires (travailleurs des services) seraient utilisés pour combler les lacunes dans l’industrie et l’agriculture. « L’asile n’était donc plus un droit fondamental mais une condition du travail forcé » (Soo, 2016 cité par Browning, 2022). Le choix leur était donné de s’engager dans la légion étrangère ou d’être mis dans un camp de concentration. Dans un de ses courriers à l’administration, Léo dit qu’il a tenté de s’engager dans l’armée française comme volontaire puis dans la légion étrangère mais qu’il avait été reconnu inapte en raison de ses varices.

Le journal l’Intransigeant publie à son tour un reportage le 8 septembre. Il indique que le camp peut contenir cinq mille individus et qu’il n’est « d’ailleurs qu’une sorte de vaste centre de triage. Les Tchèques, désirant venger leur patrie envahie voici un an, seront des soldats passionnés et sur l’attitude desquels aucun doute n’est permis. Elle sera héroïque… Les autres devront choisir ou contracter un engagement de cinq ans dans la Légion étrangère, ou se voir diriger vers un camp de concentration pendant la durée de la guerre ».

Visite au « Camp de Rassemblement » de Colombes où Allemands et Autrichiens décident eux-mêmes de leur sort : Légion étrangère ou camp de concentration

Le Stade de Colombes, qui connut les grandes compétitions sportives, est aujourd’hui réquisitionné par l’autorité militaire. Il fallait découvrir, à proximité immédiate de Paris, un certain nombre de vastes enclos destinés à grouper les étrangers de nationalité ennemie. Le Stade a été désigné tout de suite en raison de ses proportions et des facilités de surveillance.
De chaque côté des portes, depuis hier, stationnent des centaines d’étrangers qui se rendent ici volontairement. D’autres sont amenés dans des cars de police. Ils ont été arrêtés au cours de certaines opérations d’épuration devenues nécessaires à Paris et dans la région parisienne. Quelques femmes seulement dans cette file interminable, qui accompagnent jusqu’à l’entrée un mari ou un fils. Toutes les classes sociales sont ici représentées. La condition de chacun est décelée par la tenue et par la nature du léger bagage qui est posé à terre en attendant leur passage dans le camp.
Devant ce passage, un soldat baïonnette au canon. Il nous faut parlementer un instant devant cette baïonnette résolument inclinée. Enfin un sergent parait qui nous autorise déjà à franchir la porte et à avancer de deux petits pas au-delà  – Des renseignements? Il faut voir le colonel.
Un planton, deux plantons, un relais de plantons et nous voici dans le P. C. du colonel Cornet, chargé de l’organisation et de la direction de cet immense caravansérail.
Tout à fait aimable, l’officier nous fait remarquer qu’il n’y a pas de renseignements particuliers à obtenir ici. Toutefois, dit-il, il me plairait de vous voir signaler qu’il ne s’agit pas d’un camp de concentration, mais d’un « camp de rassemblement ». Les hommes que nous recevons ici sont surtout des Allemands et des Autrichiens. Il y a encore quelques Tchèques. Ces derniers vont, selon leur désir, être Incorporés dans une formation spéciale, car ils veulent combattre. Et le colonel Cornet indique, par un sourire, que l’audience est terminée. Il dit encore ceci : Est-il utile d’ajouter que ces hommes sont tous traités avec la plus parfaite humanité ?
Le camp peut contenir cinq mille individus. Ce n’est d’ailleurs qu’une sorte de vaste centre de triage. Les Tchèques, désirant venger leur patrie envahie, voici un an, seront des soldats passionnés et sur l’attitude desquels aucun doute n’est permis. Elle sera héroïque… Les autres devront choisir ou contracter un engagement de cinq ans dans la Légion étrangère, ou se voir diriger vers un camp de concentration pendant la durée de la guerre.
Dès leur arrivée, Ils sont conduits vers des petites tables installées en plein air. Un officier examine leurs papiers, consigne leur état civil, tandis qu’un soldat procède à la fouille du petit bagage portatif, qui doit contenir des vivres personnels pour deux jours. Pour ceux qui n’ont pas apporté de quoi manger, une popote a été prévue.
On n’a pas pu, évidemment, concevoir l’hébergement d’une telle foule. Chacun s’installe au mieux. Aucun ne se plaint : nous sommes guerre…
 
De nouveau, le relais de plantons. C’est qu’il est plus difficile encore de sortir du camp que d’y entrer ! Dehors nous questionnons quelques-uns de ceux qui attendent leur admission. La plupart, ennemis farouches du régime actuel allemand qi est la cause de leur exil, ont déjà fait leur choix : ils entreront dans une unité combattante. Ils ne feront que passer Ici. Quelques-uns, le regard gêné, nous déclarent qu’ils n’ont pas encore pris de décision. A leur goût…

Le stade n’avait cependant pas été aménagé pour loger tous ces gens.


L’herbe centrale était interdite et strictement protégée par des gardes. [ …]. Ils dormaient sur les sièges de pierre de la tribune ou sur le sol entre eux, et il y avait à peine assez de place pour que chaque homme puisse s’allonger. De la paille a été fournie pour amortir le contact. Les deux premiers jours n’ont pas été si mauvais. Le temps était chaud et sec. Chaque homme avait apporté sa propre nourriture, y compris du vin, dans certains cas, en complément du pain et du pâté qu’on leur donnait. Mais bientôt, la situation a commencé à se détériorer. Le temps est devenu pluvieux et les nuits étaient froides, la couverture unique insuffisante. Les hommes dormaient maintenant sur de la paille mouillée. Leurs vêtements étaient trempés. 
Browning, D. L., 2022, The Scandal and Betrayal at Stade Colombes: The September 1939 Internment of German-speaking Men in France. French Politics, Culture & Society, 40(3), 1-27.

Il n’y avait évidemment pas de toilettes dignes de ce nom, et de gros tonneaux servaient de latrines. Hans Escher (1968) qui a été interné là, en a livré la représentation ci-contre.

source : Dubuc Albert Mary.

Hans Hartung, lui-même interné dans le stade en livre ce témoignage :

source : Dubuc Albert Mary

 
En réalité, les étrangers appelés à se rendre au stade de Colombes y restèrent presque tous près de deux semaines avant d’être transférés, le 18 septembre, dans le camp de Meslay-du-Maisne. Browning, (2022) indique dans son article que, « dans le même temps, la République avait gelé les comptes bancaires de tous les Allemands et Autrichiens, de sorte qu’à l’intérieur du stade, les hommes se préoccupaient non seulement d’eux-mêmes, mais aussi du bien-être de leurs familles ».

Un article du 12 septembre du Populaire, journal du parti socialiste, relate l’angoisse des femmes qui attendent, aux portes du stade, d’avoir des nouvelles de leurs maris, fils ou frères.

Aux portes du camp de rassemblement des sujets allemands et autrichiens

Je n’en ai vu que les abords. Mais pour les avoirs regardés – simplement regardés – il m’est arrivé une mésaventure qui, à l’échelle des événements actuels, est d’infime importance, mais qui, justement en raison des événements actuels, n’eût pas dû se produire.
 
Chargée par le Populaire de faire un reportage sur le camp de Colombes, j’arrive aux alentours du camp. Munie de ma carte de presse je demande aux gardiens postés à l’entrée de vouloir bien m’introduire auprès du colonel chargé de la direction du camp. La consigne est formelle, me répond-on ni photographes, ni journalistes, nui n’a le droit de franchir cette porte.
Bien. Je me dirige vers le café où quelque cent cinquante hommes et femmes se trouvent massés, Surtout des femmes. L’une d’elles, adossée à un mur, est étendue sur une table. Elle s’est évanouie, un médecin-major est près d’elle, lui prodiguant ses soins. Plus loin, des malheureuses pleurent que deviennent leurs maris, leurs fils ? Elles ont apporté des cabas remplis de provisions et souhaiteraient les leur faire passer. « Interdiction de transmettre des vivres aux rassemblés ».
Ecrire ? Avoir de leurs nouvelles ? Les voir ? On peut écrire, ils ont eux-mêmes le droit d’écrire, mais rien n’est garanti quant à la date de réception des lettres. Je m’approche d’une blonde très jeune c’est une Viennoise; ils ont fui Vienne pour ne point devenir hitlériens; son mari était avocat; leurs papiers sont en règle; elle ne craint rien. Il est là, derrière ce mur: ils se reverront! Radieuse jeunesse.
 
Une fillette s’approche de moi, secouée de sanglots. Elle a compris que j’étais française : « Madame. laissez-moi voir mon frère, mon frère de dix-sept ans ! ». Je la prends par le cou : « Mais, ma pauvre enfant, je ne puis rien, allons, allons, ne pleurez pas ! ». « Madame, seulement cinq minutes! seulement deux minutes! ».
 
Soudain, tous les regards se tournent du côté de l’entrée. Un jeune Allemand vient de sortir du stade, chargé d’une lourde valise enveloppée d’une couverture. Dès qu’il a franchi le barrage, les femmes se précipitent sur lui : « Alors, alors, comment sont-ils ? Que mangent-ils ? Où dorment-ils ? » « En plein air, il fait beau, on dort sur de la paille ; la nourriture est suffisante : soupe, pâté de foie, café, pain… » – Pourquoi est-il sorti ? – « Mutilé. Ils sont onze dans le même cas, onze qui sont libres ».
Il est monté dans un taxi, visible gêné par cette curiosité bruyante. Est-il vrai qu’on les force à opter entre le camp et un engagement de cinq ans dans la légion étrangère?  Il ébauche un geste très vague, cogne à la vitre du taxi : en route !
 
Dans le groupe qui s’est formé, Je remarque une femme qui parle parfaitement français. Mais je suis Française, s’exclame-t-elle. Mon mari est Sarrois ; Il est venu en France après le plébiscite, il s’est volontairement engagé en septembre 38.
Près d’elle, une autre porte un tout petit enfant contre son sein : -Quel âge a-t-il ? Trois mois. Un garçon. Heureusement que je n’ai pas d’enfant, murmure une brune aux cheveux courts. Je l’avais toujours regretté, mais à présent !…

Au moment où je m’éloigne d’elle, un monsieur s’approche de moi : Madame, voulez-vous me suivre ? Vous suivre ? Il soulève le revers de son veston. « Police ! ». Je sors ma carte de presse et mes papiers d’identité. Non, non, venez à l’intérieur du camp. En tout autre moment, l’âme du journaliste aurait tressailli d’aise Je vais donc voir l’intérieur du camp ! Mais je n’ai depuis quelques jours qu’une malheureuse âme d’être humain et je n’ai pas d’indignation de reste.

Sous l’œil goguenard des soldats, des agents et des policiers, je franchis le seuil interdit, Beaucoup de soldats. Je pénètre dans une salle basse remplie d’agents, On me fait asseoir. On m’interroge minutieusement, Ne croyez pas, me déclare mon juge-policier, que votre titre de journaliste m’impressionne ! Je n’avais pas tant de prétention. Mais on m’amène des compagnons. Un vendeur de journaux qu’un policier tient au collet ; une femme, une autre en qui je reconnais la Française mariée à un Sarrois. Vais-je voir entrer la maman du bébé qui m’a livré l’âge de son enfant ?

Si je n’avais le cœur à la torture, comme tant d’épouses et tant de mères, je m’impatienterais. Car le temps presse. Il me faut assister à l’interrogatoire de mes voisins de banc ; or, je dois passer à mon journal et regagner à la nuit une ville de banlieue. Mais nous vivons des heures où l’on ne sent plus les coups d’épingles et où l’on plaint ceux qui les portent.

Sur ma calme réclamation, on consent à me « relaxer », encore que pour la bonne règle l’opération ne puisse se faire que devant le commissaire de police de la circonscription, Nouvelle attente, Enfin, la camionnette » de la police est avancée. « Embarquez-moi ce monde ! « intime mon souverain juge à un agent. Si je pouvais sourire, je sourirais : les choses prennent une tournure bouffonne. Je refuse tout simplement de monter dans la camionnette. Enfin, enfin, le commissaire de police de la circonscription me fait les plus larges excuses.

C’est l’épilogue du reportage que je n’ai pas fait, épilogue banal d’un incident bénin et qui m’a simplement permis d’inscrire ces deux questions sur mon carnet : Est-il sain, est-il raisonnable d’imposer de vaines tracasseries à une journaliste authentique, en règle, et à une femme qui travaille? Un traitement humain, des conditions sanitaires suffisantes sont-ils assurés à ces milliers d’hommes ?
Ni développement, ni commentaires. Je n’ai rien vu, je ne sais rien. Je me borne à poser ces deux questions.

Magdeleine PAZ.

P.S. Pourquoi ne permettrait-on pas aux réfugiés d’acheter des vivres à une cantine organisée par les soins de l’autorité militaire ? Au moment de mettre sous presse, je reçois la visite d’un réfugié qui vient de passer deux jours et demi au camp. Il m’affirme que ses camarades sont traités parfaitement, qu’officiers, soldats et gardiens se comportent avec la plus totale humanité. Je suis fort heureuse de le dire.

Le 18 septembre 1939, Leo est transféré en train, avec 2 000 hommes du stade de Colombes au camp de Meslay-du-Maisne, dans la 4ème compagnie étranger, 1er groupe. Un petit groupe, duquel faisait partie Hans Hartung, était arrivé quelques jours avant, en camion, pour préparer le camp. Ce dernier y décrit un terrain totalement inadapté au logement des plus de 2 000 étrangers, sur lequel devaient être édifiées des tentes pour loger tout le monde. La boue était telle qu’il était très difficile de se déplacer et que certains prisonniers s’étaient fabriqués des raquettes avec de vieilles boites de lait. Un petit étang servait de « salle de bain » et les prisonniers étaient tassés dans des tentes.

La « salle de bain » (source Dubuc)
Le « dortoir » (source Dubuc)

A partir du 15 octobre, le premier camp (appelé camp de la Rochère) fut évacué et les prisonniers furent transférés vers le camp de la Poterie, dans des bâtiments construits en dur où les conditions de vie étaient un peu meilleures. Néanmoins, comme les courriers devaient forcément être relus par la censure, une seule lettre était autorisée tous les 5 jours, du fait du faible nombre de traducteurs. A partir du 15 janvier 1940, les étrangers purent même y recevoir la visite de leur famille dans un local affecté à cet effet. J’ignore si Leo a bénéficié de cette possibilité.

Caricature de Erich Kolb offerte à Alfred Mary Dubuc

En raison de la lenteur administrative, peu d’étrangers furent libérés avant le mois de mars 1940. La commission de criblage, censée différencier le bon grain de l’ivraie, menait ses enquêtes avec une extrême lenteur, comme en témoigne les échanges de Leo avec l’administration française pour faire valoir « ses droits ». .  

En février 1940, le camp de Meslay-du-Maisne devient cependant un camp de prestataires. Ne restaient plus là en effet que les étrangers en passe d’être incorporés dans la défense nationale.

Les conditions de détention se relâchent un peu. Les internés peuvent obtenir des permissions et sortir du camp deux heures le soir. Leo, classé comme prestataire, doit pourtant, comme d’autres, attendre au camp son affectation par la Commission Régionale de Criblage. En mai 1940, selon Albert Mary Dubuc, le camp comprenait encore un millier de prestataires, les autres ayant été affectés dans différents endroits. Leo, lui, y reste a priori jusqu’à la fin. Je ne trouve en effet aucune trace de son affectation et son certificat de mariage (voir plus loin) indique qu’il se trouve à Pibrac « par suite d’une évacuation », qui est le mot employé pour le déménagement du camp en zone libre à quelques jours de la fin de la guerre.

Un article du Petit Parisien du 1er avril 1940 relate la situation désespérante de ces prestataires en attente d’affectation.

DANS UN CAMP DE « PRESTATAIRES » où l’on retrouve des figures de Montparnasse et de Montmartre et des cinéastes et des chefs d’orchestre qui vont être terrassiers

Meslay-du-Maine est une de ces nombreuses petites villes de l’Ouest qui n’ont pas besoin d’une forte population pour avoir leur vie propre et personnelle ; c’est un chef-lieu de canton et c’est bien une vraie petite ville… La grande route qui va de Laval à Sablé lui assure un mouvement quotidien très suffisant. Ses magasins sont nombreux et bien achalandés. Sa mairie pourrait rendre jalouses certaines préfectures et son champ de courses, la saison venus, attire régulièrement tous les turfistes de la région. Au total : onze cent habitants
Le camp a donné à Meslay une animation nouvelle d’un caractère à la fois militaire et cosmopolite… Des officiers, des sous-officiers font popote au Lion d’Or… Des soldats passent à bicyclette… De temps en temps, une auto tricolore stoppe devant le bureau de poste. II arrive même que ce soit un général anglais qui descende de voiture. Cela, c’est le côté militaire – Mais des voyageurs et des voyageuses surtout qui, manifestement « ne sont pas du pays », viennent rendre visite à des hôtes du camp. Et ces « touristes » parlent toutes les langues, sauf parfois le français. Côté cosmopolites ! ..
Le camp de Meslay, qui se trouve installé, si l’on tient aux précisions, sur la commune de Cropte et sur le chemin de Chemiré-le-Roi, a été, au début des hostilités, un des camps de concentration les plus importants de France, avec plus de deux mille… pensionnaires …

La prestation après la concentration
Aujourd’hui, le camp n’est plus de « concentration » ni « d’internement ». Le camp de Meslay est maintenant un camp de « prestataires » … Et ce n’est plus tout à fait la même chose et si l’administration, la nôtre, n’était pas toujours aussi lente quand il s’agit d’appliquer des décisions pourtant strictement administratives, ce devrait être tout différent…
Mais l’administration française, on le sait, va « piano », « pianissimo ». Tout de même, dans quelques mois, le camp de MesIay sera vraisemblablement désaffecté. La différence qui doit exister entre un camp de concentration et un camp de prestataires se trouvera sans doute alors définitivement établie.
Au camp de prestataires de Meslay ne se trouvent internés aujourd’hui que des Autrichiens, des Sarrois et quelques apatrides que les services de la sûreté nationale ont, si l’on peut dire, sélectionnés. Certains de ces Autrichiens étaient installés en France avant l’Anschluss. D’autres se sont réfugiés chez nous depuis. Il en est de même des Sarrois ; quelques-uns vivaient en France avant le plébiscite. Les autres ont fui, depuis, le régime nazi. Quant aux apatrides, bien entendu, on ne sait pas, on ne sait plus… Leur cas, à chacun, est une charade internationale : mon premier est Allemand, mon second est Russe, mon troisième est Géorgien ; mon quatrième est « Parisiens » ! Quelle est la nationalité de mon tout ? (Et il y a des situations beaucoup plus compliquées)
Mais, en principe, aucun des hôtes du camp de Meslay n’est suspect (Les suspects et les nazis certains ont été dirigés sur un département voisin). On peut même dire que la plupart de ces étrangers sont dignes de nos sympathies. Ils sont là, depuis septembre, totalement oisifs. S’il fait beau, ils prennent d’interminables bains de soleil, couchés tout du long sur le sol. S’il pleut, ils s’enferment dans leurs cabanes, et jouent aux échecs on aux cartes. Ou bien ils somnolent sur leurs maigres paillasses grises… Quand, avec politesse, avec gentillesse, avec émotion aussi, ils disent qu’ils ont trop le cafard, on les comprend et on cherche quelques paroles d’amitié pour leur répondre.
Mais on réfléchit aussi. Ces hommes sont tous d’âge à servir. Ils ont de vingt à quarante-huit ans. (On sait que nous n’avons interné ni les femmes étrangères, ni les enfants, ni les malades, Et la plupart ont entre vingt et trente ans. Ce sont vraiment des jeunes…
Ils sont internés; mais il sont à l’abri… Leurs parents, leurs épouses n’ont pas à trembler pour eux. Ils se tireront indemnes de la guerre…
Enfin, s’ils sont internés, ils ne sont pourtant pas prisonniers. Je Car ils peuvent partir : car on leur permet de quitter la France, à la condition expresse qu’ils quittent en même temps l’Europe. Or Ils restent. Les étrangers du camp de Meslay ont tous signé, depuis le mois de février, leur contrat de prestataire.

La pelle et la pioche
Prestataires ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire qu’ils se sont tous engagée à travailler pour la défense nationale. Ils accompliront ainsi, volontairement, leurs prestations.
Ils seront traités comme des soldats français. Ils toucheront le prêt du soldat français. Leurs familles recevront l’allocation, ils auront droit, chaque jour, à la sortie en ville. Ils auront droit à la permission…
…Où iront-ils ? Là où on aura besoin d’eux et l’armée à anglaise aura recours à leurs services …
En attendant… fis attendent. Ils ne se plaignent pas… Ils s’ennuient et ils sont moroses, voilà tout…
Pourtant, ils ont quelques distractions… ils ont construit un gentil théâtre où ils ont donné déjà quelques bonnes représentations. Un des collaborateurs de l’Auberge du Cheval-Blanc, F…, a terminé une opérette ; R…, qui était devenu un dessinateur très parisien, a brossé quelques décors amusants. P…, qui, dans un palace des Champs-Elysées, dirigeait l’orchestre, a repris le bâton. Mais il manque S…, ce danseur favori d’une de nos plus vénérables vedettes dont les chansonniers montmartrois, intraitables, ont fait depuis longtemps une centenaire. B… a été libéré, bien entendu !… C’est un des petits griefs que formulent parfois les internés. Leurs camarades pistonnés sont rentrés, libres et tranquilles, à Paris. Il y aurait eu « des injustices ». Il y aurait eu « des histoires » peut-être, au fond ! …
Enfin, l’heure n’est pas à perdre du temps. N’en perdons pas. Les internés de Meslay sont prêts à travailler pour nous. Donnons-leur et les outils et la besogne… Et vite ! Et comme il faut !
On a, du reste, déjà fait une expérience parfaitement concluante. On a détaché du camp de Meslay, il y a trois mois, un grand nombre d’ouvriers sarrois, pour la plupart métallurgistes, pour les affecter à un très important chantier situé dans les environs, à Longusfuye.

Sur un chantier
J’ai vu à l’œuvre ces braves gens, oui, ces braves gens. Ils s’acquittent avec une conscience et une ardeur professionnelles émouvantes d’une tâche aussi délicate que pénible.
– Je n’ai jamais une observation à leur faire, m’a dit un Ingénieur, qui sait, il est vrai, traiter ses ouvriers avec autant d’intelligence que d’humanité.
Et pour terminer, je citerai ces quelques mots que la peintre R…, né à Vienne, me disait à Meslay, dans le petit grenier où les artistes du camp se sont rassemblés:
– C’est la guerre, c’est la guerre, mais ça ne m’empêche pas d’aimer Verlaine et de penser à un Vlaminck quand je vois ce ciel chargé de nuages, ce rectangle de prairie et ces arbres en fleurs.
R…. prestataire, maniera demain la pelle et la pioche.

Le 17 Juin 1940, devant l’avancée des troupes allemandes, le camp de Meslay est évacué.  Les étrangers du camp (plus de mille) partent à pied vers Angers à une soixantaine de kilomètres où ils arrivent le mercredi 19, après avoir abandonné sur la route une bonne partie des paquets et valises qu’ils avaient tenté d’emporter avec eux. Le 20 juin, jour de l’armistice, ils prennent un train pour Montpellier, puis Albi où ils seront logés au camp Saint Antoine. Je ne connais pas la suite.  Je suppose que les derniers « prisonniers/prestataires » n’avaient plus aucune raison d’être gardés (car la nation française n’avait plus besoin de prestataires) et qu’ils ont donc été rendus à la vie civile. Mais je ne sais encore pas grand-chose de ce camp. Le site http://www.bddm.org/int/details.php?id=73243&display=0 indique que, le 7 Août 1940, il y avait dans le camp 112 ressortissants du Reich dont 86 juifs et que, le 25 août, il y avait 476 internés dont 226 juifs.

Je retrouve la trace de Leo à Pibrac le 8 avril 1941 où il se marie avec Edith (qui avait divorcé de son premier mari en 1937). Il est indiqué sur le duplicata que Leo et Edith sont en résidence à Pibrac par suite d’évacuation, ce qui confirme l’hypothèse que Leo faisait partie en juin 1940 des étrangers évacués du camp de Meslay-du-Maisne.

Il ne trouve là qu’une tranquillité relative. En effet, le 2 juin 1941 est promulguée la deuxième loi sur les juifs du régime de Vichy, restreignant encore plus les activités que les Juifs peuvent exercer et ordonnant leur recensement dans toute la France.

Le 25 juin 1941, le préfet régional de Toulouse, anticipant le recensement des Juifs imposé par cette loi, demande à toutes les municipalités avoisinant Toulouse de dresser, « secrètement et avec une discrétion absolue« , une liste de tous les Juifs ou présumés Juifs habitant leur commune. A cette demande, la mairie de Pibrac répond par un courrier manuscrit : « En attendant les instructions et les questionnaires, j’ai l’honneur de vous adresser la liste provisoire des Juifs ou présumés Juifs habitant la commune ». Suivent 4 noms : Mr Kahn (1), Mr Aslam (1), Famille Evaert (3), famille Grieff (5). Dans la mesure où Léo s’était marié le 8 avril, il me paraît impossible qu’il ait pu être oublié. On peut donc supposer que la personne de la mairie chargé(e) d’écrire la réponse a écrit Kahn au lieu de Cahn.

10 mois plus tard, les imprimés de recensement sont disponibles et la municipalité en commande 30, ramenés à 10 par, je suppose, le gestionnaire des stocks. L’imprimé, intitulé « Avis de (départ ou arrivée) d’un JUIF » permet de renseigner les noms, prénoms, professions et adresses. Je n’ai pas retrouvé, aux archives de Haute-Garonne, les imprimés remplis par chaque commune.

Ce sont ces imprimés qui serviront à la réalisation de la rafle des juifs des 25 et 26 août 1942. Cette rafle avait été initialement programmée au mois de juin, mais devant son impréparation, et constatant surtout qu’elles ne disposaient que de noms et pas d’adresse, les autorités françaises décidèrent de la reporter. On trouve aux archives de Haute-Garonne les discussions autour de cette première rafle avortée. On y trouve aussi les directives, secrètes, données par monsieur Surville, Contrôleur général de la Police Nationale, chargé de la Rafle de Juifs étrangers du 26 août 1942 dans les 40 départements de la Zone Libre. Cette fois, rien ne devait être laissé au hasard pour le « ramassage » sur le « lieu d’enlèvement » et le transport des personnes arrêtées.

Directives secrètes du Contrôleur Général de la Police Nationale pour la rafle du 26 août 1942.

Le 25 août 1942, Leo est arrêté à Pibrac et interné au camp de Noé. Le premier septembre au petit matin il est transféré en train à Drancy avec 960 autres juifs raflés dans la région de Toulouse. Il arrive à Drancy le 2 en début d’après-midi. et en repart le 4 septembre pour Auschwitz par le convoi n° 28.

Source : E. Malo
Source : E. Malo
Fiche du camp de Noé
Fiche du camp de Drancy

Dans ses démarches d’après-guerre pour être indemnisée par l’Etat allemand, sa femme, Edith Cahn produit un document indiquant que Leo a été déporté politique. Elle produit également un acte de décès établi par la mairie de Bry sur Marne en 1948 indiquant une date décès au 31 décembre 1943 pour Leo, sur la base du témoignage d’un rescapé. Cet acte mentionne bizarrement en marge « Mort pour la France ». A noter que le service historique de la défense de Caen indique comme date de décès le 1er décembre 1943.

Barnéoud Dominique, Le camp de Meslay du Maine (internés civils 39-42), Editions Siloe

Browning, D. L., 2022, The Scandal and Betrayal at Stade Colombes: The September 1939 Internment of German-speaking Men in France. French Politics, Culture & Society, 40(3), 1-27.  

Dubuc Albert Mary, 1941, « Quelques souvenirs dans la tourmente : le Camp d’internement des Etrangers de Meslay-du-Maine, 2 septembre 1939-17 juin 1940 » : récit de M. Dubuc, ancien lieutenant au camp de Meslay, Archives départementales de la Mayenne, cote 1 J 570/1.

Escher Hans, 1982, « Stade de Colombes. Les Internés. Avec les Réfugiés ex-Autrichiens dans les Camps », Archives juives 1 : 9.

Malo Éric, 1988, « Le camp de Noé (Haute-Garonne) de 1941 à 1944 », Annales du Midi, 1988

Peschanski Denis, 2000, Les camps français d’internement (1938-1946), Doctorat d’Etat. Histoire. Université Panthéon-Sorbonne – Paris I, https://theses.hal.science/tel-00362523/document

Roblin Vincent, 2019, Bry-sur-Marne : histoire et patrimoine, 219 p.

Soo Scott, 2016, Les routes de l’exil : la France et les réfugiés de la guerre civile espagnole, 1939-2009, Oxford : Manchester University Press, 134 p.

Sites :

https://erinnern.saarbruecken.de/fr/la_foret_interrompue

https://gedenkbuch.saarbruecken.de/fr/livre_commemoratif/page_de_d_tail_des_personnes/person-1290

https://le-camp-de-prestataires-de-meslay-du-maine.jimdosite.com/

Yann Mars

Christophe Ollagnier

Michael Jurich

Thomas Serrière

Gilles Dubuc

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Recherche par famille

Berl et Feigla Wachsberger. Mes arrières arrières grand parents paternels

Hermann et Augusta Wachsberger. Mes arrières grand parents paternels

Jakob et Netty Wachsberger. Le frère et la fille d’Hermann et Augusta et leurs descendants

Gustav et Amalia Wachsberger, le frère et la belle sœur d’Hermann et leurs descendants

Oskar et Fanny Wachsberger, mes grands parents paternels et leur descendant

Ferdinand et Dilla Cahn, mes grand parents paternels et leurs descendants

Leo Cahn, mon grand oncle, fils de Ferdinand et Dilla et frère de Fanny

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Getzel/Gustav, le frère jumeau de mon arrière grand-père Hermann, sa femme Amalia et leurs descendants.

Getzel, le frère jumeaux de Hermann, est né à Klasno le 10 avril 1857. Il se marie peut-être à Klasno avec Malka Sholem avec qui il aura 6 enfants (Isidor, Netty, Bruno, Fanny, Ernestine et Léo). On notera la similarité de quelques prénoms avec ceux des enfants de son frère : Netty nait trois ans après sa cousine germaine du même nom, Bruno deux ans après son cousin germain du même nom, Fanny la même année mais trois mois après sa cousine germaine du même nom, Léo trois ans avant son cousin germain du même nom !

Comme son frère, Getzel et Malka modifient leurs prénoms (en quittant Klasno ?) et se font appeler Gustav et Amalia. Leur premier fils, Isidor, nait à Klasno en 1880. Gustav a alors 23 ans, Amalia, 26 ans. leurs deux enfants suivants (Netty et Bruno)  naissent à Poreba Wielka (Poremba à l’époque), les trois derniers à Jägendorf (Krnov aujourd’hui).

NB : Terezin= Theresienstadt ; Opava=Troppau ; Krnov=Jägendorf ; Oświęcim=Auschwitz ; Racibórz=Ratibor ; Brno=Brünn

Ils quittent Jägendorf en 1896 pour s’établir à Brünn (Brno). En 1899, Gustav déclare un commerce déclare un commerce de marchandise mixte, en fait une épicerie fine, au 2 Minoritengasse . On notera que les trois frères, Hermann, Gustav et Jakob exercent la même activité. En 1900, l’annuaire de Brünn indique que le commerce se trouve au 21 de la Joahnnesgasse, une rue des principales rue commerçantes de Brünn. Une annonce publicitaire de 1905, permet de confirmer que Gustav a exactement la même spécialité que son frère Hermann. Il annonce en effet la vente de « toutes les gourmandises, de bons fruits de table et des fruits tropicaux, le meilleur fromage Ementhaler et 15 autres spécialités fromagères ainsi que du vrai fromage Liptauer Brinse, de la charcuterie fine et du vrai jambon de Prague, de la volaille de table toujours fraîche, du Schill (Fogós) ». Il vend aussi « les meilleurs vrais liqueurs polonaises, etc. ». L’annonce indique aussi qu’il dispose d’une filiale à Teschen, ce qui semble indiquer que son commerce était florissant.

Brünn, Minorittengasse, vers 1910
Brünn, Johannesgasse, vers 1900

Déclaration d’entreprise individuelle : Gustav Wachsberger


Etablissement principal à Brno, en tant que propriétaire de l’entreprise Gustav Wachsberger, commerçant, et comme entreprise, le commerce de marchandises générales à Brno, Minoritengasse n° 2.

Gustav Wachsberger,
épicerie fine de Brünn


Toutes les gourmandises, de bons fruits de table et des fruits tropicaux, le meilleur fromage Ementhaler et 15 autres spécialités fromagères ainsi que du vrai fromage Liptauer Brinse, de la charcuterie fine et du vrai jambon de Prague, de la volaille de table toujours fraîche, du Schill (Fogós),

les meilleurs vrais liqueurs polonaises, etc.
recommandent la sélection la plus fraîche et la plus riche

Gustav Wachsberger,
épicerie fine de Brünn
Filiale : Teschen Stefanlestrasse n° 58

En 1900, il est recensé à Brünn, au 26 Grosser Platz, avec sa femme et ses 6 enfants et une domestique. Il est indiqué qu’il habite là depuis 1896. Notons que les intitulés des colonnes de l’imprimé sont en allemand et en tchèque.

Gustav et Amalia déménagent à Berlin peu de temps après. On trouve en effet la trace de Gustav dans l’annuaire de Berlin dès 1909. Contrairement à la plupart des autres membres de la famille, il migrent donc à Berlin avant la fin de la première guerre mondiale et la création de la Tchécoslovaquie. A cette date (en 1909), les seuls Wachsberger de l’annuaire sont en effet les neveux de Gustav, Samuel et Bruno (ayant un magasin fournitures en gros), et Gustav lui-même, mentionné comme commerçant. Les annuaires qui précèdent de contiennent aucun Wachsberger, ce qui laisse supposer que l’installation à Berlin date de 1908-1909.

En 1933, sa femme Malka décède à Berlin.

Berlin le 29 décembre 1933

S’est présenté ce jour,
identité établie sur la base de son permis de conduire,
Bruno Wachsberger, commerçant,
demeurant à Wilmersdorf, 52 rue de Constance,
qui a déclaré que

Amalia Wachsberger, née Szolem,79 ans,
demeurant à Berlin, 3 rue de Solingen, chez son époux,
née à Cracovie en Pologne,
épouse de Gustav Wachsberger commerçant

est décédée à Berlin, 3 rue de Solingen, en présence de ce dernier le 28 décembre 1933 à 11h. 30 du matin

Gustav disparait des annuaires de Berlin après 1933. On peut penser qu’il est retourné à Ostrava puisque je retrouve, là, son certificat de décès en 1942

Les enfants de Gustav et Amalia

Isidor

Isidor est né le 7 novembre 1880 à Klasno. Je ne sais encore pas grand chose de lui

Le 17 novembre 1939,  on trouve sa trace dans les archives de la police de Brno où il fait l’objet d’une enquête de citoyenneté. On note que la fiche  indique qu’il s’appelle  Isidor Israël, conformément à l’obligation faite aux juifs   allemands (Brünn est dans le protectorat de Bohême-Moravie, établi depuis le 19 mars 1939), mais aussi que le prénom Isidor est barré. Il est indiqué qu’il est né à Wieliczka, marié et sans religion  ( !).

Cinq mois plus tard, le 8 avril 1942, il est déporté de Brno vers Therienstadt par le convoi AI 363 puis le 18 avril 1942 vers le ghetto de Rejowiec par le convoi Ap 835.

Rejowiec se situe à une soixantaine de kilomètres au Sud Est de Lublin, en Pologne. L’idée d’expulser les juifs d’Europe et des les réinstaller aux confins du Gouvernement général de Pologne, vers les villes de Lublin et Nisko avait été étudié dès septembre 1939 puis mis à exécution dès le mois d’Octobre avec le plan Nisko. Entre fin 1939 et mai 1941, plus de 1000 réfugiés juifs, expulsés pour la plupart de Lublin et de Cracovie étaient déjà arrivés à Rejowiec. Mais le 7 avril, un jour avant la déportation d’Isidor, 80 % des juifs de Rejowiec avaient été déportés vers Sobibor, ce qui faisait un peu de place pour les nouveaux arrivants (on ignore le nombre de personnes qui se trouvaient dans le convoi d’Isidor).

Je n’ai pas d’idée de ce qu’est devenu ensuite Isidor. Il n’est pas revenu. Les conditions de vie dans le ghetto de Rejowiec étaient semble-t-il déplorables. On notera que son prénom de naissance disparaît complètement de la fiche de transport qui ne mentionne plus que Israël, son prénom imposé par le troisième Reich.

Netty

Netty naît …. 1884 à Poreba Wielcka (Poremba). Elle se marie avec August Ascher Koszer avec qui elle aura 4 enfants. Je ne sais pas grand chose d’elle.

Elle meurt à son domicile à Magdebourg le 4 septembre 1937. C’est la police qui constate son décès. J’ignore les circonstances et causes de son décès.

La vie pour les juifs de Magdebourg était devenue de plus en plus difficile. Un blog retrace la montée du nazisme à Magdebourg. Je cite ici quelques éléments concernant uniquement l’année 1937.

15 mars 1937. Le gouvernement prussien interdit à toutes les entreprises juives de produire ou de vendre des drapeaux avec des croix gammées ou d’autres symboles nationaux. Cela avait pour but de rendre publiquement visible la prétendue « hostilité envers l’État » des Juifs. 30 mars 1937. La Gestapo appelle tous les bureaux de Prusse à répertorier les noms de toutes les stations thermales et balnéaires fréquentées par les Juifs. 31 mai 1937. L’administration de la ville demande une fois de plus au ministère prussien de la Culture de fournir une scolarisation séparée aux enfants juifs. 26 août 1937. Le ministère prussien de l’Intérieur ordonne que plus aucun permis ne soit accordé pour l’établissement d’auberges et de tavernes juives. Septembre 1937. L’administration de la ville limite le traitement des Juifs dans les hôpitaux à des circonstances mettant leur vie en danger, justifiant la mesure par le prétendu danger pour la santé des patients « aryens » en présence de Juifs.

Bruno

Bruno naît le …..1885 à Poreba Wielcka (Poremba). Il se marie avec Meta Goldmann.

Les deux habitent à Berlin dans les années 1930. On trouve sa trace dans les annuaires de Berlin en 1930, comme Papiergrosshandler et Papier und Pappenfrabriken.

Son nom disparait des annuaires en 1938.

On trouve aussi sa trace dans une liste de personnes du protectorat de Bohême-Moravie dont la propriété a été confisquée par les nazis (Cette liste, établie en mars 44, provient de la police municipale de Prague). Il est indiqué que la propriété  est située  à Prague, Bubenaka n°7.

Bruno et Meta échapperont à l’extermination en fuyant par l’Italie. Ils y furent néanmoins un temps internés dans le camp de Ferramonti en Calabre (le 9 juin). Heureusement, la chute du régime fasciste en juillet 1943 empêcha le projet de transfert des juifs étrangers de Ferramonti dans le Haut-Adige. Le 14 septembre, le camp fut libéré par les troupes britanniques. C’est le premier camp libéré sur le continent. Tous les internés furent sauvés.(ici)

Internés juifs dans leurs baraques (Blocks) dans le camp de concentration italien de Ferramonti di Tarsia. Italie, entre 1940 et 1943.

Fanny

Fanny naît en 1889 à Jägendorf

Elle se marie le 15 février 1921 à Berlin avec Alfred Meyer, commerçant, né à Etlingen, en Allemagne. Le certificat de mariage indique qu’elles est secrétaire. Les deux témoins du mariage sont son père Gustav (63 ans) et son frère Bruno (35 ans).

Ester

Ester est née en 1891 à Jägendorf. Elle se marie en 1928 à Berlin avec Sigismund Riesenfeld, de 9 ans son aîné. Bruno, son frère est un des témoins du mariages

Sur son certificat de mariage, on peut voir que son époux a été obligé de rajouter le prénom Israël, comme tous les juifs, conformément à une ordonnance de 1938. Est en effet mentionné dans la marge en 1939 : « Vu la 2ème ordonnance du 17 août 1938 visant à l’application de la loi relative à la modification des patronymes et prénoms, l’époux mentionné ci-contre portera le prénom supplémentaire d’Israël ». C’est encore confirmé en dessous en 1940.

Rien n’est indiqué sur le passeport pour Ester. Les femmes dont le prénom ne signifiait pas directement leur judéité (ce qui n’est donc pas le cas d’Ester) devaient rajouter le prénom Sara.

Plus bas une dernière mention de 1950 indique « L’ajout ci-dessus est annulé en vertu de la loi du Conseil de contrôle des Alliés du 20 septembre 1945. Les mentions marginales concernant le prénom supplémentaires n’ont aucune validité ».

Ester se suicide 10 ans plus tard, le 30 mars 1938, à l’âge de 47 ans. Je ne sais pas comment les bundesarchiv connaissent cette information.

Sigismund fut, lui, arrêté à Berlin le 3 février 1943 et déporté à Auschwitz par le 32ème convoi « vers l’Est » (Osttransport). Ses biens sont saisis et « transférés à l’empire allemand ». Une liste de ces biens a été établie. Je ne sais pas s’il en existe encore une trace quelque part.

Lettre de la police secrète de Berlin au président en chef des finances de Berlin sur la confiscation des biens juifs

Police secrète d’État

A monsieur le Président en chef des finances de Berlin-Brandebourg, Agence de cession d’actifs

 Berlin, 10 mars 1943

Évacuation des juifs 

En annexe, j’envoie une liste de transport des Juifs dont les biens sont parvenus au Reich par suite de la confiscation dans le cadre de la déportation. Les biens n’ont pas disparus, mais ont été transférés à l’Empire allemand par confiscation. Il s’agit du 32e transport vers l’est.
 
En parallèle, je joins les déclarations de patrimoine concernées..

Liste du 32ème convoi de Berlin vers Auschwitz contenant 1837 noms.
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Jakob Wachsberger, frère de mon arrière grande père et ses descendants

Jakob et Netty

Jakob Wachsberger, un frère cadet d’Hermann, né en 1874, soit 15 ans après lui, se marie avec Netty (Jeanette), la première fille d’Hermann. Le couple habite à Ostrava où ils auront 5 enfants (Bruno, Lilly, Frieda, Otto, Edith).

NB : Terezin= Theresienstadt ; Opava=Troppau ; Krnov=Jägendorf ; Oświęcim=Auschwitz ; Racibórz=Ratibor ; Brno=Brünn

Jakob était établi à Ostrava au moins depuis 1890 puisqu’on trouve sa trace dans le recensement (établi en allemand et en tchèque). Il habite alors dans la Bahnhofstrasse chez les Feiner, une famille juive dont le père David est serrurier. Il est indiqué que Jakob est alors commis, un terme ancien qui n’est plus utilisé aujourd’hui dans les pays de langue allemande, et qui signifie employé. Le recensement indique aussi la religion des occupants, tous ici de religion mosaïque (c’est-à-dire se référant au message religieux de Moïse) à l’exception de la domestique Marie Kupec qui est catholique. Tous ont aussi l’allemand comme langue principale. (« Dans l’Empire des Habsbourg, l’identification [des individus] était déterminée par la langue et la religion. En Cisleithanie[1], les gens étaient interrogés, [non sur leur langue maternelle,  mais] sur la langue d’usage quotidien (Umgangssprache) ».  (Horel, 2023, Multicultural Cities of  the Habsbourg Empire. 1880-1914. Imagined Communities and Conflictuals Encounters, Budapest, New-York, CEU Press)


[1] L’empire austro-hongrois se composait de deux parties juridiquement différentes : l’une se situant de part et d’autre de la Leitha », une rivière qui formait la frontière de la Basse-Autriche avec le royaume de Hongrie.

Recensement Ostrava, 1890

Toutefois, sa reconnaissance officielle en tant que famille d’Ostrava date de 1907 où une délibération du conseil municipal demande son inclusion et celle de sa famille dans l’association des foyers de la ville. Jakob a alors 33 ans.

Il faut rappeler que « dans tout l’empire austro-hongrois, la citoyenneté communale suivait la même règle : chaque citoyen devait être inscrit dans une commune spécifique pour établir sa résidence (Heimatzuständigkeit), et l’enregistrement dans deux communes ou plus n’était pas autorisé. Une fois inscrite, la personne était éligible aux prestations sociales municipales. Le Heimatzuständigkeit pouvait théoriquement être modifié si l’on déménageait dans un nouveau lieu de résidence, mais dans ce cas, l’enregistrement précédent devait être annulé. Pourtant, dans la pratique, le changement de résidence était une affaire plus compliquée.(…] après la loi sur la citoyenneté de 1863, les municipalités ont eu tendance à restreindre l’octroi de la citoyenneté aux migrants récents, craignant, entre autres facteurs, que cela ne pèse sur les fonds municipaux disponibles pour les politiques de protection sociale ». (Horel, 2023)

Intervention pour l’admission à l’association locale de la ville de Moravie-Ostrau sur le fondement de la loi du 5 décembre 1896, R.-G. Feuille n° 222.

Le conseil municipal demande :

1) que les personnes nommées suivantes soient incluses dans l’association des foyers de la ville de Moravie-Ostrau : Bartek Johann, Charwat Franz, Cylny Adalbert avec sa famille, garçon Marie, à l’exclusion de leurs enfants, Kitka Franz, Baciorek Josef, Stark Franz, Temel Franz, Tofel Joachim, Wachsberger Jakob et sa famille ; Bghlut Johanna et ses enfants.

Auparavant, Jakob avait déjà déclaré, le 21 novembre 1905, son commerce d’épicerie fine auprès du tribunal de commerce de la ville. Ci dessous, la lettre qu’il envoie pour son enregistrement et le mot du département de la chancellerie de K.K (Kayserlich und Königlich, désignant l’empire d’Autriche) validant sa demande.

On trouve plusieurs mentions dans les journaux locaux de ce commerce, parfois à côté de celle de son frère.

Ostrauer Zeitung, 2 mars 1012; 10 décembre 1910; 30 novembre 1909; 2 décembre 1906

Contrairement à de nombreux membres de leur famille, Jakob et Netty ne migrent  pas à Berlin après la fin de la première guerre mondiale et la constitution de la Tchécoslovaquie, mais restent habiter à Ostrava. « Dans les terres tchèques, l’antisémitisme est plus faible qu’ailleurs ; il est fermement combattu par Tomáš Masaryk (1850–1937), fondateur et premier président de la Tchécoslovaquie. En parallèle, la sécularisation présente autant chez les Juifs que chez non-Juifs facilite l’intégration. La plupart des Juifs de Bohême, dont la pratique religieuse décline fortement depuis le XIXe siècle, se montrent indifférents envers les questions religieuses » (source)

Le 14 mars 1939, l’Allemagne envahit cependant la Tchécoslovaquie et y instaure le protectorat de Bohême-Moravie. Emil Hácha, président de la Tchécoslovaquie depuis la démission et l’exil d’Edvard Beneš, demeure en place, mais tout le pouvoir est détenu par le Reichsprotektor allemand. Se mettent alors rapidement en place les mesures anti-juives (exclusions professionnelles, déchéances des droits, interdiction d’activités, restriction de la liberté de circulation,…) et d’aryanisation (saisie des biens juifs au profit du Reich). Le port de l’étoile jaune est imposé simultanément en Allemagne et en Bohême-Moravie en septembre 1941. Jakob n’échappe pas à ces mesures. Il est contraint en 1939 de vendre son magasin de la Hauptstrasse à un certain Rudolf Tschischka. Ce bien donnera lieu à une demande de réparation après la guerre, déposée par Frieda Wachsberger, une des filles de Jakob et Netty qui a réussi à émigrer en Israël.

Détermination des dommages-intérêts pour persécution

ici : Jacub Wachsberger, habitant en dernier lieu à Ostrava, propriétaire d’une épicerie fine et d’un bar à vin à Märisch-Ostrava, Hauptstr. 14.
Le requérant Rudolf Tschischka, décédé le 28.6.1958, habitant en dernier lieu à Fürnberg, Fenitserstrasse 15, invoque l’expulsion pour dommages causés au patrimoine commercial de l’épicerie fine et bar à vin à Moravia-Ostrava, Hauptstrasse 14. Selon ses déclarations, il a acheté les actifs de l’entreprise en 1939 à Jacub Wachsberger, persécuté racialement, pour le prix d’achat de Ko. 70.000. Il n’y a aucune preuve.
L’évaluation des dommages doit être effectuée conjointement par une caisse d’indemnisation pour la personne persécutée ou ses héritiers et l’acquéreur du bien juif.

Jacub Wachsberger

Nous nous référons à la lettre mentionnée ci-dessus et vous informons qu’une demande d’indemnisation a été traitée, à l’Organisation Unifiée de Restitution (U.R.O) de Francfort/Main, Grüneburgweg 119, sous le dossier VELDEN, Frieda Sto Neu, pour un certain Jakob WACHSBERGER, né le 28 juillet 1872 à Wieliczka, en Pologne, dont la dernière résidence était à Ostrava.
 Selon l’U.R.O.  celui-ci est décédé à Theresienstadt le 11/10/43.
 Nous vous laissons le soin de contacter le bureau mentionné ci-dessus, car il est possible qu’il s’agisse du Jacub Wachsberger qui vous intéresse et que les héritiers aient déposé une demande d’indemnisation.

Jakob devait avoir une situation financière suffisamment importante pour qu’on trouve des traces des spoliations dont il a été victime. Un courrier émanant du Protectorat du Reich en Bohème-Moravie adressé à la Oberkasse du protectorat du Reich indique que « Le juif Jakob Wachsberger a obtenu l’autorisation de vendre les titres en sa possession le 19 avril 1941 sous le numéro 5511/41 (§1 du règlement des biens juifs du 21 juin 1939) ». Un cinquième de cette vente forcée fut alors prélevée[ici]. On verra plus loin que sa fille, Frieda cherchera, après la guerre, à obtenir des réparations pour ces préjudices

Le terme « autorisé à vendre » doit être explicité. Afin d’éviter le chaos dans les transferts de propriété, comme à Vienne après l’Anschluss, Hermann Göring avait ordonné que toutes les opérations d’aryanisation dans le protectorat soient préalablement approuvées par le ministère de l’Économie du Reich pour qu’il puisse y prélever sa part.

Netty et Jakob seront déportés d’Ostrava le 26 septembre 1942 à Theresienstadt. Netty sera ensuite déportée à Auschwitz le 15 décembre 1943. Jakob, lui, décèdera à Theresienstadt le 11 octobre 1943. La carte de transport de Nettie indique qu’elle s’appelle Wachsbergerovà, selon l’usage tchèque pour signifier que Wachsberger est son nom de femme mariée (sans savoir que c’est aussi son nom de jeune fille). Le prénom indiqué de façon erronée est Nota.

Le nom des déportés de Tchécoslovaquie (Lilly, déportée de Drancy n’y est donc pas), sont inscrits, avec des erreurs, sur le mur de la synagogue Pinkas de Prague. On trouve aussi leurs dates de naissances et de décès. Dans l’ordre sont indiqués Bruno, Jakub (pour Jakob), Neta (pour Netty) et à la ligne suivante, Ota (pour Otto)

Bruno est né le 28 novembre 1899 à Opava. Il grandit dans cette ville où il fait des études de médecine et s’établit comme gynécologue

Adresář veřejných podniků a institucí, úřadů, lékařů, právníků, stavitelů atd. vers 1925 ?
Annuaire des avocats et médecins de la ville d’Ostrava
Bruno est rangé dans les médecins spécialistes de « Maladie de la femme et obstétrique »

Bruno a été déporté d’Ostrava à Theresienstadt où il est mort le 20 janvier 1943.

Lilly est née le 4 août 1904 à Ostrava. Elle s’est mariée avec monsieur Hahn dont je ne sais rien mais dont elle avait divorcé. Herbert dispose de son passeport tchèque. « Elle est arrivée en France en 1937 (a franchi les Ponts du Rhin, à Strasbourg, le 8 mars de la même année) sous le nom de Lili Wachsberger-ova. » (Herbert Wachsberger, Brindilles, vers 1995)



Lili Hahnova (divorcée, si j’ai bien lu le passeport rédigé en tchèque) est arrivée en France en 1937 (a franchi les Ponts du Rhin, à Strasbourg, le 8 mars de la même année) sous le nom de Lili Wachsberger-ova. […] Absente du domicile (tout comme moi) lors de la rafle du 16 juillet 1942, elle y fut cueillie quelques jours plus tard, dix minutes après qu’elle y soit revenue. La police française, prévenue de son retour par une personne attentionnée (le concierge, M. Deliot, est cette personne à laquelle je pense), n’a pas craint les heures supplémentaires vers l’heure du déjeuner pour parfaire son travail
(Herbert Wachsberger, Brindilles, vers 1995)
Photo provenant des descendants de Frieda, la sœur jumelle de Lilly

Elle a été déportée vers Auschwitz le 29 juillet 1942 par le même convoi (n°12) que ses deux tantes, Fanny Wachsberger (née Cahn) et Fanny Wachsberger. Le Totenbuch d’Auschwitz indique qu’elle y a trouvé la mort quelques jours après son arrivée, le 14 août 1942. On trouve la trace de la spoliation de ses biens dans une liste de personnes spoliées établie le 7 octobre 1944 par « Der Deutsche Staatsminister für Böhmen und Mähren », laquelle indique le lieu et la date de naissance, l’Etat d’origine et l’adresse des biens spoliés. Ici Ostrava, Hauptplatz 14.

Frieda est née le 4 août 1904 à Ostrava.. Elle se marie avec Manny Felden et arrive à émigrer en Israël où elle a eu une fille (Vera)

Otto est né le 12 août 1907 à Ostrava. Il a été raflé dans cette même ville en octobre 1939, dans le cadre du plan Nisko de déportation des juifs d’Europe vers le district de Lublin en Pologne.

Le plan Nisko

On associe souvent la déportation des citoyens juifs avec la solution finale mais les premières déportations de Juifs du Reich —en fait des Juifs des régions récemment annexées par l’Allemagne — commencèrent en octobre 1939 dans le cadre du Plan Nisko, ou Plan Lublin. Ce plan prévoyait la création d’une « réserve » juive dans le district de Lublin du Gouvernement Général de Pologne (la partie de la Pologne occupée par l’Allemagne et non annexée au Reich).
Adolf Eichmann, fonctionnaire allemand de la RSHA, qui allait ensuite organiser la déportation d’autres communautés juives européennes vers les ghettos et les centres de mise à mort, coordonna le transfert de quelque 3 500 Juifs de Moravie (en ex-Tchécoslavaquie), de Katowice (alors Katowicze ou en allemand Kattowitz) en Silésie annexée par l’Allemagne, et de la capitale autrichienne, Vienne, vers Nisko situé sur la rivière San. Des problèmes rencontrés et un changement de politique allemande mirent un terme à ces déportations mais les supérieurs d’Eichmann au RSHA furent suffisamment satisfaits de son projet pour lui assurer un rôle dans les futures déportations »
Source

Edith est née vers 1907. Elle s’est mariée avec Vilem Bribram, qui décèdera sur le front en 1944, comme membre de l’armée tchécoslovaque au côté de l’armée anglaise.

Edith migre je ne sais quand en Israël. Edith et Vilem ont eu, à ma connaissance, un enfant (source :  My heritage Sharon Web site)

Sur les 7 membres de cette branche familiale, seuls 2 ont ainsi échappé à la mort dans les camps. Les autres ont disparu, sans qu’il soit réellement possible de dater leur décès. Une demande du tribunal d’instance de Brême adressée le 17 novembre 1964 au bureau spécial de l’état civil d’Arolsen pour savoir si on connaissait quelque chose sur le sort des disparus Janette (Netti), Bruno, Lilly, Otto lui a été retournée en novembre 1965 avec le tampon négatif.

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Mon arrière grand-père Hermann Wachsberger et ses descendants

Hermann et Augusta

Aba, né en 1857 à Klasno a épousé Augusta (Gusta) Wechsner. Il a changé son prénom en quittant le ghetto pour devenir Hermann (pour être moins facilement identifié comme juif ?). Il a quitté Klasno vers 1880 pour aller habiter d’abord à Saybush où est née Netty, puis Lipnik où il a eu les deux enfants suivant (Johanna et Bruno) puis a déménagé à Ratibor (où il a eu deux jumelles,Rosa et Saly), et s’est fixé, enfin, en 1886 à Opava  (Troppau) où il a eu au moins certaines de ses autres enfants (Samuel, Leni, Fanny, Arthur,Julius, Oskar, Léo et Alfred). J’ai un doute pour les deux derniers car lorsqu’ils sont nés, il est probable que la famille habitait à Ostrava. Il tenait là une épicerie fine (Delikatessenhandler). Il n’est pas évident d’interpréter cette migration progressive vers l’Ouest mais aussi vers les grandes villes. Il est possible que les raisons financières (recherche d’un commerce plus florissant) se mélangent à des raisons culturelles (déplacement dans des territoires où la langue allemande est plus pratiquée) et sociales (échapper aux territoires les plus antisémites).

On trouve la trace de Hermann, Augusta et leurs 8 premiers enfants dans le recensement de 1891 d’Opava. Ils habitent alors dans l’appartement 3 de la maison 300 du centre ville.

Recensement Opava, 1891

A l’époque où Hermann et Augusta s’installent à Opava (Troppau), la ville est le siège de la Silésie autrichienne, un territoire indépendant de la couronne de Bohème (elle-même partie prenante de l’empire austro-hongrois), doté de sa propre administration d’État, le Parlement de l’État de Silésie et d’un gouverneur nommé par l’empereur d’Autriche. Sa population est à 88 % germanophone. Wodzinski et Spyra[1] indiquent qu’il y avait 47 juifs à Opava en 1857 mais que la population juive augmente ensuite pour représenter entre 4 et 5 % de la population. Le site « Aus der Geschichte de jüdischen Gemeinder im deutschen Sprachraum)[ici] indique que vers la fin du XIXe siècle, la communauté juive est devenue de plus en plus la cible de propagande/attaques antisémites menées par des forces nationalistes dans la ville. Après la Première Guerre mondiale et le démantèlement de l’Empire autrichien, Troppau et la Silésie autrichienne furent incorporés à la Tchécoslovaquie nouvellement fondée[ici], jusqu’en 1938 où elle passe sous le régime nazi à la suite de l’annexion des sudètes et les accords de Munich.

Hermann était delikatessenhandler, c’est-à-dire qu’il tenait une épicerie fine.  Il semble qu’il ait commencé son commerce à Opava (Troppau) mais qu’il ait ensuite ouvert un deuxième magasin à Ostrava en Moravie, à une cinquantaine de kilomètres d’Opava, ville dans laquelle son frère Jakob et sa fille Netty étaient également installés (Je rappelle que Jakob a épousé la première fille d’Hermann).

Dans la mesure où Hermann et sa famille ont encore été recensés en 1911 à Opava, il semble difficile d’imaginer que ce deuxième établissement est en fait celui tenu par Jakob. L’adresse donnée, sur la Hauptstrasse, est d’ailleurs la même que celle qu’il indique. Cela signifie-t-il que les deux frères étaient associés ou que Hermann a financé son petit frère (et sa fille) pour son installation à Ostrava?


[1] Wodziński, M., Spyra, J., & Research Centre for the Culture and Languages of Polish Jews (Éds.). (2001). Jews in Silesia. Ksiegarnia Akad. [u.a.].

Un encart publié en avril 1895 dans l’Ostrauer Zeitung en Tchèque et Allemand annonce en effet l’installation de son commerce de « biens coloniaux, gibier, volaille, poissons, charcuterie depuis le 1er avril 1895 dans la maison de M. Sal Rechowski, située Hauptstrasse 16 à Märisch Ostrau. 

Ostrauer Zeitung, 4/4/1895

Ouverture d’entreprise
À l’honorable public de Märish-Ostrau, Přivos, Witkowitz et environs, je me permets, par la présente, de faire l’annonce respectueuse que depuis le 1er avril 1895, dans la maison de monsieur Sal. Reschovsky, Hauptstrasse n° 16, sous le n°18, la société Hermann Wachsberger a ouvert un magasin de
Biens coloniaux, gibier, volaille, poisson
et
épicerie fine
Mes connaissances approfondies en la matière, acquises au cours de mes 10 années de travail à la Troppauer Platz, me permettent de répondre à toutes les exigences de nos chers clients P. T. et je me recommande particulièrement de fournir tous les éléments nécessaires aux tables de mariage, dîners, soupers, etc.
En même temps, je voudrais profiter de l’occasion pour annoncer l’ouverture prochaine du 
Fonds de commerce Bodega
où l’on trouvera tous les vins espagnols, comme ceux vendus à Vienne, Prague, Trieste et dans les plus grandes villes d’Autriche-Hongrie, au prix d’origine. 
En demandant le soutien de mon entreprise, je signe sincèrement
Hermann Wachsberger 

On retrouve plusieurs encarts dans les journaux dans lesquels Hermann fait de la réclame pour sa boutique, comme celui de  décembre 1896, paru en tchèque dans le Ostravice. L’adresse indiquée est cette fois la rue Hlavni.

Journal Ostravice décembre 1896

Pour les vacances à venir !
Expéditions fraîches quotidiennes de brochets vivants, sandres, saumons du Rhin et norvégiens. langues et Danube vivant. Grosses carpes de toutes tailles. Chapons de Styrie engraissés à la matière grasse du lait, poulets rôtis, dindes, Canards.
Faisans rares tchèques, coqs de bruyère, bonhommes de neige, dos de chevreuil et croupes de chevreuil frais et lièvres également frais.
Malaga séché, pommes, ventres d’amandes, noix de Styrie et françaises. ainsi que des fruits frais et séchés du sud de toutes sortes. Tous les coups
Des spécialités nationales et étrangères pour les cuisines et les restaurants à des prix très bas proposées par l’épicerie fine
H. Wachsberger
à Opava et Mor Ostrava sur la rue Hlavní
Vrai poppav. Thé en emballages originaux de toutes tailles et toutes sortes.
Liqueurs fines. Cognac et rhum jamaïcain dans leurs bouteilles d’origine.
Veuillez envoyer les commandes de la campagne à temps !

Les réclames successives permettent de se faire une idée de l’importance de la boutique et de retracer ses déménagements. En décembre 1910, on trouve notamment plusieurs encarts dans l’Ostrauer Zeitung. L’adresse indiquée est désormais Schlossgasse à Moravska Ostrava.

Ostrauer Zeitung, 1910

Carpes miroir vivantes
Saumons du Rhin et argenté, calamar de rivière, sandre, poisson de mer frais au kg. 80-90 h.Soles, harengs frais pour la friture. Tous les types de poissons sont vidés. Poulets au four, chapons de Styrie, poulardes, poulets rôtis et petits poulets gras indiens. Les meilleurs jambons de Pâques de Prague. Laitue parisienne et cornichons. Les radis, les poids mange-tout en bidon de 1 litre 90h, 1/2 litre 52h, ainsi que toutes les meilleurs gourmandises pour la table de Pâques et tous les types de fromages et de poissons pour la Semaine Sainte sont disponibles frais, en grande quantité, chaque jour et sont proposés aux prix les plus bas.
Hermann Wachsberger
Mär.Ostrau, uniquement sur Schlossgasse

Ostrauer Zeitung, 1910

Pour les vacances à venir
Le sous-signé incite les clients à accorder la plus grande attention à son entrepôt réfrigéré et richement assorti de
mets de choix
Carpes miroir vivantes, toujours disponibles dans n’importe quelle taille
Poisson frais et vivant, Saumons du Rhin et saumons argenté, calamar de rivière et brochet
La meilleur volaille de table
Magnifique faisan et lièvres, Meilleurs jambons salés
Des vinaigrettes fraîches tous les jours pendant longtemps. Le tout offert à des prix très bon marché !
Hermann Wachsberger,
épicerie fine.
Des délices frais tous les jours
uniquement dans la Schlossgasse.

De fait, c’est à cette date (plus exactement en janvier 1911) que sa société est officiellement inscrite auprès du registre du commerce de la ville. Cela signifie-t-il que la famille avait alors déménagé à Ostrava ?

Il fait aussi paraître à cette occasion un encart dans le journal « Comptoir der Brünner Zeitung ». J’ignore pourquoi cet encart se fait dans un journal de Brünn.Peut-être était-ce le lieu où se trouvait le tribunal du commerce.

On note que son nom avait été mal orthographié sur la facture du journal ce qui conduit Hermann à envoyer une demande de rectification, écrite sur une carte de correspondance à son nom. « Mon nom est bien tourjours Hermann Wachsberger et non Wachsberg. »

En 1914, le Streissler’s Adressbuch für die politischen Bezirke Mähr.-Ostrau indique l’adresse de son épicerie fine à Ostrava. Juste en dessous, on trouve celle de son frère Jakob, installé au 14 de la Hauptstrasse.

Streissler’s Adressbuch für die politischen Bezirke Mähr.-Ostrau. 1914

Les divers recensements d’Opava permettent de retracer son passage, celui de 1911 dont la dernière colonne a été annotée dans les années 1930, donne des indications sur le devenir de ses enfants et sur lui-même. On apprend ainsi qu’une décision du tribunal administratif d’octobre 1903 lui accorde la citoyenneté à Troppau (littéralement: le droit de se considérer dans son pays).  

Zoom sur la feuille de recensement

En rouge, sur la ligne d’Hermann, il est indiqué qu’en octobre 1903, le tribunal administratif lui a accordé la citoyenneté à Troppau ((littéralement: le droit de se considérer dans son pays). (NB : pour voir à quoi ressemble un certificat de citoyenneté de la cille de Troppau, voir Julius, plus loin)

Son métier est Delikatessenhandler

Gattin ou Ehegattin signifie : époux ou épouse

Il a déménagé à Berlin, comme beaucoup de ses enfants, certainement après la première guerre mondiale et le démantèlement de l’empire autrichien. On trouve sa trace dans l’annuaire téléphonique de Berlin à partir de 1921 (pas d’indication de profession).

Les frontières de l’empire austro-hongrois et son démantèlement en 1923

Sa femme, Augusta, est décédée à Berlin cette même année. C’est leur fils Léo qui déclare le décès. Je n’ai pas trouvé pour l’instant de traces du lieu et de la date du décès d’Hermann (1931 ?). Il est encore indiqué dans l’annuaire  juif de Berlin de 1931-1932 mais n’est plus dans les annuaires téléphoniques  à partir de 1932.

Hermann et Augusta ont eu 13 enfants : Netty, Johanna, Bruno, Rosa, Saly, Samuel, Leni, Fanny, Arthur, Julius, Oskar, Leo, Alfred

Netty/Jeanette est née en 1880 à Saybusch (Zywiec), une petite ville de Pologne, à plus de 80 kilomètres de Wieliczka, tristement connue  aujourd’hui par la déportation vers l’Est (Action Saybusch) de ses habitants par la Wehrmacht et la police allemande dans le cadre du plan de constitution du Lebensraum  allemand, de septembre à décembre 1940.

Johanna est née en 1882, à Lipnik Biala. Elle se marie je ne sais quand ni où avec David Joachimsmann. Ils habitent à Berlin où naissent leurs deux enfants, Lilly en 1907 et Kurt en 1910. Son mari décède à Berlin le 9 juillet 1925, à 49 ans. C’est leur fille Lilly qui annonce le décès.

On trouve la trace de Johanna en 1931 dans l’annuaire juif (sous son nom de femme mariée) ainsi que dans les registres de résidence de Wilmersdorf.

En 1935 elle se remarie avec David Freund mais ce dernier décède un an plus tard, en 1936.

Légende à mettre

Elle migre au Brésil en février 1939 puis aux Etats-Unis en février 1946. Des gens ont cherché sa trace aux archives d’Arolsen, en 1969.

Lilly nait à Berlin en 1907

Son frère Kurt nait en 1910 (mais je ne trouve pas son certificat de naissance). Il migre pour les États-Unis en octobre 1936 (en passant par Cherbourg) en qualité d’employé de maison, et demande sa naturalisation américaine en décembre 1936. Sur sa fiche d’immigration, il dit vouloir rejoindre un cousin à Bronxville, H. Isler, au 5 Colonial Road.

Plus tard, son dossier de demande de naturalisation comporte une page remplie en 1942 par Alfred et Adèle Wachsberger, citoyens américains, qui se portent garant de lui (en disant le connaitre depuis le 1er janvier 1937).

Liste des passagers arrivant aux Etats-Unis 10 mars 1936 
Demande de naturalisation américaine de Kurt Joachimsmann de 1936

Le 29 septembre 1942, il s’engage à Fort Jay Governors Island (Fort Jay) dans l’armée américaine. Il est intégré dans la division : « Branch Immaterial – Warrant Officers, USA ». Il indique sur la carte d’enrolement l’adresse de son oncle Alfred Wachsberger comme personne susceptible d’être toujours en contact avec lui. A cette date, il n’est pas encore citoyen américain. J’ignore s’il le deviendra. Son lieu d’habitation indiqué est Queens, New York, son niveau d’éducation « 4 years of high school », sa profession « salespersons », sa taille 67 pouces (soit 1,70m), son poids 129 lbs (soit 58 kg)

Il se marie en 1942 avec Harriet Kruger

Il s’est installé à Berlin dès 1909 (26 ans). Il était associé avec son frère Samuel Max dans la société Wachsberger (Furnitüren en gros).

Il est mort sous le drapeau prussien le 17 mars 1915 et fut décoré après sa mort de la médaille d’argent pour acte de bravoure de première classe en « reconnaissance d’une conduite courageuse face à l’ennemi » (in Anerkennung tapferen Verhaltens vor dem Feinde). Il était alors conducteur de train (incorporé dans le régiment d’infanterie n°1, sous-unité 7K)

Wiener Zeitung 19 mai 1915 p.3

Leurs deux enfants migrent en Afrique du Sud à une date indéterminée. Je fais l’hypothèse qu’ils sont passés par la Hollande, d’où était originaire la femme de Georg, Sarah Van Win. Ils obtiennent la nationalité Sud-Africaine en 1950.

Rosa est née à Ratibor en 1885

 Elle s’est mariée avec Ignatz Aufricht et a eu deux enfants à Ostrava en 1906 et 1912.


En 1900, Ignatz Aufricht pourrait avoir possédé un magasin d’épice et farine à Teschen qu’il met en vente dans le Schlesische Zeitung. On peut aussi penser qu’il tenait, comme son père, un commerce de farine à Ostrava. On trouve en effet la trace de ce commerce, mis en location en 1883 par Ludwig dans le Neuigskeits Welt Blatt du 13 février 1883

Neuigskeits Welt Blatt du 13 février 1883
Schlesische Zeitung, 1900

Existence sécurisée
 
Une entreprise renommée en activité depuis 40 ans et située à Teschen, Stephaniestrasse
 
Magasin d’épices et de farine
 
doit être remis à un commerçant aisé à partir du 1er octobre 1900 (ou avant) dans des conditions favorables, avec des stocks de marchandises, pour d’autres entreprises. Informations auprès d’Ignatz Aufricht à Teschen.

Location commerciale

En Moravie. A partir du 1er avril de cette année, à Ostrava sur le Ringplas, dans la maison numéro 44, est loué un magasin de farine, d’épices et de Schant qui fonctionne bien depuis de nombreuses années. – Les comptes seront remis par le propriétaire.
Ludwig Aufricht à Ostrava.

En 1894, 1900, 1903, 1910, 1913, il est régulièrement en cure à Karlsbad, sacrifiant ainsi au mode de vie bourgeois de l’époque. En 1894 il est indiqué sur la liste des curistes qu’il tient un commerce de marchandises générales à Bielitz en Silésie Est.

On trouve aussi le nom de Rosa Aufricht dans la liste des curistes, sans pouvoir savoir s’il s’agit de Rosa Wachsberger ou de sa belle sœur (ou d’une autre Rosa).

« Carlsbad était une ville de lève-tôt : « Les premiers baigneurs apparaissent aux fontaines dès 4 heures du matin ; « Les concerts commencent à 6 heures du matin sous la colonnade de la source et de la fontaine du moulin et, en haute saison, 10 000 à 12 000 personnes de presque toutes les régions du monde se rassemblent aux fontaines pour boire l’eau chaude », comme il est indiqué dans une description de 1898. »

« Pour éviter de longs temps d’attente aux bassins d’eau, les buveurs forment la fameuse « file unique de Carlsbad » pour défiler devant les fontaines et les colonnades, même si la file d’attente faisait certainement partie du « voir et être vu » socialement pertinent. Quand ce fut votre tour, vous remettez la tasse que vous aviez apportée avec vous à l’une des filles bien portantes, pour la faire remplir la minute suivante. À la fin du XIXe siècle, le gobelet, encore indispensable aujourd’hui, s’est imposé comme récipient à boire courant, de préférence avec la peinture classique « motif d’oignon de Carlsbad ». L’eau chaude est aspirée dans la bouche grâce à la poignée incurvée. Il se refroidit un peu et pénètre par petites gorgées dans l’estomac, où il rencontre souvent le « Karlsbader Zwieback » ou le « Karlsbader Wafers ». Ces deux types de pâtisseries ont été créées pour neutraliser l’arôme désagréable de l’eau thermale sulfureuse-salée. »

Rosa et Ignatz ont eu une fille Herta, née en 1906 à Ostrava. Elle se marie avec Siegmund Geminder à Ostrava. On trouve leur nom sur une liste des biens spoliés. Cette liste, établie par Der Deutsche Staatsminister für Böhmen und Mähren, indique le lieu et la date de naissance, l’Etat d’origine et l’adresse des biens spoliés. Ici , Prague XII, Mikovecstrasse 3. Cette liste a été établie après janvier 1939 puisque un prénom leur a été rajouté : Sara pour elle, Israël pour lui

L’ordonnance du 17 août 1938

Elle disposait que les personnes considérées comme juives au sens des lois raciales de 1935 et qui portaient un prénom ou un nom de famille de nature à les confondre avec des citoyens allemands étaient tenues de changer de prénom jusqu’au 31 janvier 1939 au bureau d’état civil compétent. Son application fut étendue le 24 janvier 1939 aux territoires des Sudètes et à l’Autriche récemment annexés.

Ils semblent avoir réussi à migrer en Amérique du Sud. On trouve sa trace sur des fiches Brésilienne de tourisme (1963) et de la délégation spéciale des étrangers établie dans les années 1970, indiquant qu’elle réside à Sao Paolo mais qu’elle est de nationalité Chilienne. Sur cette dernière fiche, Il est également indiqué qu’elle est veuve (elle signe Herta Aufricht de Geminder). Siegmund pourrait être décédé en Floride le 15 juillet 1974.

Saly est née à Ratibor en 1885. Elle s’est mariée avec Max Karter. On trouve leur trace dans le recensement d’Opava de 1911 (dans lequel sont aussi mentionnés leurs enfants nés après 1911).

Ils ont eu six enfants à Opava. Saly et Max ont été déportés le 29 septembre 1942 d’Ostrava à Theresienstadt et de là à Treblinka le 5 octobre.

Un petit monument, quasiment invisible rappelle à Ostrava, près de la gare, les déportations. En revanche, la synagogue Pinkus de Prague a établi la liste de toutes les victimes juives de la région. On y trouve la trace des Wachsberger.

Elsie Karter arrive à migrer aux Etats-Unis à New-York. Elle est naturalisée le 30 mars 1944 et se marie le 27 novembre 1944 avec Max Maennlein en présence de son oncle, Léo Wachsberger

Elle est recensée dans le New Jersey (Monmouth Howell en 1950 avec son mari (écrit Max Manlin) et leur fils Michael agé de 5 ans et né à New-York

Ilana Karter se marie avec Erich Markus avec qui elle a une fille, Daisy, née en 1928. Ils migrent d’Hambourg à Rio de Janiero le 13 juin 1930. Bizarement, leur fille Daisy n’est pas mengtionnée sur la liste des passagers. Elle arrive cependant aussi à migrer puisqu’on retrouve sa trace au Chili où elle se marie en 1948 avec Ralph Pinto. Ilana et Erich s’établissent après guerre au Chili où ils ont un fils Alejandro, né en 1944. Un document d’entrée au Brésil indique que Erich est de nationalité chilienne.

Trude Karter apparaît sur une liste établie le 5 février 1942 par le département du rapatriement du ministère de la protection sociale du gouvernement tchécoslovaque en exil à Londres. Il s’agit de permettre la migration de Suisse vers Mexico City. Il est indiqué, en français, qu’elle est tailleuse, sans moyen pour payer son passage. Sur la même liste figure Walter Bleyer qui deviendra son mari (Je ne sais plus comment j’ai cette information mais un site privé en hébreu mentionne ce mariage)

Le gouvernement tchécoslovaque en exil à Londres

Edvard Beneš a démissionné de son poste de président le 5 octobre 1938, après les accords de Munich et l’annexion des Sudètes par l’Allemagne nazie. Il émigre en France et anime un gouvernement en exil. Le gouvernement de Beneš, constitué à Londres en juillet 1940, est reconnu en 1942 par l’ensemble des Alliés, qui dénoncent alors les accords de Munich.

Bruno Karter est né le 16 avril 1911. Il a servi dans l’armée tchèque en exil comme sous-lieutenant d’artillerie et a été démobilisé le 16 décembre 1943.

Détail d’un membre de la république tchèque ayant servi à l’étranger

L’armée tchèque en exil

À la fin des années 1930, l’armée tchèque était l’une des plus importantes d’Europe avec environ 1,5 million de soldats, mais elle n’a guère résisté à l’occupation totale de la Tchécoslovaquie par l’Allemagne nazie en mars 1939. L’armée tchèque a alors été dissoute et de nombreux soldats tchèques ont fui vers la Roumanie et la Pologne. Après l’invasion de la Pologne par l’Allemagne, certains soldats tchèques ont combattu l’Allemagne au sein de l’Armée rouge de l’Union soviétique, tandis que d’autres ont rejoint la France, la Grande-Bretagne ou le Moyen-Orient. Des unités militaires tchèques ont participé à la bataille de France. En Grande-Bretagne, un camp de soldats tchèques a été installé près de Chester, et certains Tchèques ont été mobilisés pour aider les villes touchées par les bombardements allemands. Pendant la bataille d’Angleterre, 87 pilotes tchèques ont effectué des missions pour protéger les îles britanniques de l’invasion, dont Josef Frantisek, l’un des meilleurs as du théâtre européen.
Isaksen, Kai. « Czechoslovak Exile Units of WWII. »Military History Online. Accessed March 22, 2023

Je ne sais rien pour l’instant de Hansi Karter

Erich Karter est né le 13 juillet 1915 à Opava

Erich Karter en 1939

Le 24 janvier 1939, à l’âge de 24 ans,, il se trouve à Prague où il fait, en tchèque, une demande de passeport pour se rendre dans tous pays à des fins d’étude, en indiquant sa situation militaires (à vérifier). Cette date précède d’un mois l’annexion du territoire de Bohême et de Moravie par le troisième Reich et la constitution du protectorat de Bohême-Moravie. Cette demande est acceptée par les autorités militaires d’Opava qui, après vérification de sa situation militaire, n’émettent pas d’objection à la délivrance d’un passeport.

Demande de délivrance d’un passeport 12 janvier 1939
Réponse des autorités militaires au dos de la demande

Le 19 avril 1939, il dépose sa demande de passeport accompagnée d’une lettre. Sur l’imprimé, en tchèque, sont mentionnés le nom de ses parents, Max et Sali Wachsbergerovà

Le 25 janvier 1940, il obtient un document de police, cette fois bilingue mais rempli en allemand par les autorités qui atteste qu’il n’a commis aucun délit. Le document précise qu’il souhaite se rendre à Shangaï. On note que, suite à l’ordonnance du 17 août 1938, les hommes ont dû rajouter Israël à leur prénom et les femmes Sara : Erich devient donc Erich Israël, sont père devient Max Israël, sa mère, Saly Sara. Le document indique que Erich est étudiant en électronique, que Max est aubergiste et que Saly est femme au foyer.

Il n’arrivera cependant pas à s’échapper. Il sera déporté de Prague vers Theresienstadt le 30 novembre 1941 puis le 13 juin 1942 vers une destination inconnue, à l’Est. Au dos de sa fiche de déportation est indiqué, à la main, qu’un contact a été établi, le 13 octobre 1964, avec son beau frère Walter Bleyer (mari de Gertrud) à Zürick.

Samuel est né le 25 septembre 1886 à Opava.

On trouve sa trace à Berlin dans les différents annuaires, la première fois en 1909, associé à son frère Bruno en 1909 (voir plus haut). Il a alors 23 ans.

En 1919 la société est indiquée comme Reklame-zugabeart puis Hutfurnitüren en 1924.

Il se marie avec Paula Bach en 1913 à Berlin. Son certificat de mariage est particuilièrement intéressant car il fait apparaître les premiers prénoms de ses parents : Aba et Hermann pour son père, Sarah Gitel et non Augusta pour sa mère.

Berlin Wilmersdorf, le 29 novembre 1913

 Se sont présentés ce jour à l’officier d’état-civil soussigné en vue d’être unis par les liens du mariage
   1°-le commerçant Samuel Wachsberger, présentant comme légitimation de son identité un certificat de son pays d’origine, de religion mosaïque, né le 25 septembre 1886 à Troppau (Autriche),
demeurant à Berlin-Friedrichsfelde 14 rue de Bâle (?)
            fils du commerçant Aba Wachsberger et de l’épouse de ce dernier, Sarah Gitel, née Wechsner, domiciliés en Moravie-Ostrova

   2°- Paula (?) Bach, sans profession, présentant comme légitimation de son identité son acte de naissance, de religion mosaïque, née le 21 octobre 1888 à(?) Marienwerder,
           demeurant à Berlin-Wilmersdorf, 35 rue de Westphalie,
           fille du défunt commerçant Julius Bach, dernier domicile à Charlottenburg et de l’épouse de ce dernier Rébecca née Loewenthal, domiciliée à Berlin Wilmersdorf

La société Wachsberger Gebrüder est encore recensée en 1938 à Berlin.

Samuel et Paul ont eu un fils, mort à la naissance le 3 octobre 1914. C’est Gustav, l’oncle de Samuel qui déclare le décès.

Ils ont eu ensuite une fille, Suzy née à Berlin, le ….

Samuel Max a réussi à émigrer en Angleterre avec sa fille Suzy mais sa femme, Paula, est restée, un temps, coincée à Berlin. Dans un dossier du Fonds de Moscou, on découvre que son frère Oskar (qui signe ici Oscar), établi en France depuis 1933, a tenté, en 1939, de lui faire obtenir un visa pour fuir le nazisme par la France. Il indique dans sa lettre qu’il y a urgence à lui faire obtenir ce visa «  »afin de ne pas conduire ma pauvre parente à une misère certaine« . Pour appuyer sa demande, il joint le télégramme laconique qu’il a tout juste reçu d’elle.

« Envoie moi immédiatement le permis du ministère. Paula« 

Elle réussit pourtant, je ne sais comment ni quand, à rejoindre sa famille en Angleterre. Elle décède à Leeds en 1959. On trouve la trace de Paula dans les cartes établies par l’American Joint Distribution Committee (AJDC) en septembre 1945 à partir des listes de transport de la Gestapo et de dossiers nazis (Vermögensverwertungsstelle) pour recenser les juifs déportés de Berlin. Cette carte porte une mention bizarre puisqu’elle indique que Paula se serait suicidé ou aurait eu une vide illégale (cachée ?).

Fred, le fils de Julius, se souvient de Samuel et Paula. Voici son témoignage :


Samuel was known as Max Wachsberger, and Muckie by my family. I remember his wife Paula (and her sister Lisa Bendel) who had been living the Belgium before being reunited. For a while Muckie lived in Newcastle and worked with my father, but that did not work well, and Muckie and his family went to live in Leeds with daughter Susan. She changed her surname from Wachsberger to Walton, and then she married someone called Turp, but had no children and both died many years ago
Fred Wachsberger

Leni est née à Opava en 1888. Elle se marie à Ostrava le 27 mars 1910 (elle avait 22 ans) avec Alfred Klebinder. Ils ont eu, dans cette ville, deux enfants :Ilse et Karel.

Alfred était électrotechnicien et tenait un établissement de réparation électrique, installé dans un premier temps au numéro 3 de la Schlossgasse, c’est-à-dire à la même adresse que son beau-père Hermann (voir plus haut) puis au numéro 18 de la Neugasse.

Ostrauer Zeitung,  24 mars 1911

Contactez-nous

 pour les installations électriques, les systèmes d’éclairage et d’alimentation électrique, les téléphones, les paratonnerres, les télégraphes, ainsi que toutes les réparations et dysfonctionnements qui en découlent.
 Alfred Klebinder
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Ostrauer Zeitung, 4 octobre 1911

Alfred Klebinder, Mähr.-Ostrau, Neugasse 18

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Établissement d’électrotechnique, Mähr.-Ostran, Neugasse 18, en face du Café Austria.

Je ne sais pas ce que devient cette boutique pendant la première guerre mondiale, ni ce que fait Alfred (Oskar et Bruno, du même âge que lui, ont servi dans l’armée prussienne). Après la première guerre mondiale, et alors que l’indépendance de la Tchécoslovaquie venait juste d’être déclarée, il ouvre (de nouveau) un magasin d’élecricité, cette fois en association avec un Tchèque. Contrairement donc avec la plupart des Wachsberger, il fait le choix de rester en Bohême-Moravie plutôt que de migrer à Berlin.

Ostrauer Zeitung, 1er décembre 1918

Ouverture d’entreprise !

Nous nous permettons d’informer le public de Märish-Ostrau et des environs que nous avons ouvert à Mähr.-Ostrau, Reichsstraße 8 (en face de l’hôtel National).
Un magasin d’installation et de commerce d’électricité
Tous les systèmes d’éclairage et d’électricité, de téléphone et de sonnerie, etc. sont réalisés à votre entière satisfaction à des prix modérés. Les dysfonctionnements sont corrigés immédiatement.  Devis gratuits
 Alfred Klebinder et Engelbert Dudek

Alfred s’était semble-t-il établi à Prague dès 1940. On trouve en effet dans les archives de la police tchèque, un demande de renseignement adressée par les services de Prague à la police d’Ostrava sur l’adresse d’Alfred Klebinder, informations confirmées le 12 avril 1940 par cette dernière au dos du document.

Suite à ce contrôle, Alfred a obtenu en juin 1940 un certificat d’émigration vers Prague témoignant qu’il n’avait commis aucun délit

Je ne trouve aucune trace de lui jusqu’en avril 1943 où il est condamné, à Prague, à payer 500 couronnes pour n’avoir pas cédé sa place dans un bus à un Aryen.

« Le 17/03/1943, à la demande de Karl Wingartz, né le 27/02/1907, domicilié à Prague, au 75 Sudetengasse, d’appartenance au peuple allemand, a été présenté par le policier au matricule 2609 de la compagnie d’honneur le Juif Klebinder Alfred, né le 13/08/1881 à Ostrau en Moravie, dont la compétence s’étend à Ostrau en Moravie, domicilié à Prague, 9 Herrenhuterstrasse, identité citoyenne G Z 390338/a, établie par la direction de la police de Prague le 9/11/1940.

Le jour indiqué ci-dessus, le Juif Alfred Klebinder voyageait dans le wagon de queue du tramway de la ligne 19 et s’était assis bien que les autres personnes âgées dussent rester debout. Le Juif Alfred Klebinder a été rendu attentif par Karl Wingartz au fait qu’il devait se lever. Avant cela Karl Wingartz a remarqué que le ci-devant Juif avait caché l’étoile avec son porte-documents.
Au cours de l’audition Alfred Klebinder a déclaré qu’il restait des places dans le wagon du tramway et que l’étoile n’était pas cachée par son porte-documents. »
 
Page 2. (premier encart à droite) :  A la 4ème inspection criminelle. Transmis pour poursuivre la procédure. 3ème commissariat le 18/3/43. (Deuxième encart à droite) :   Au 3ème commissariat. Le Juif KLEBINDER doit être déféré et puni d’une amende de 500 K. 23/3/43. 4ème inspection criminelle. (1er encart à gauche) : Au 11ème commissariat. Prière d’enregistrer le Juif Alfred Klebinder dans le fichier pénal et en outre de lui imposer l’amende de 500 K, ou 5 jours-amende, devant être payée. 3ème commissariat, le 26/3/43. (Deuxième encart à gauche) : Au 3ème commissariat. Transmis en retour après avis conforme. 11ème commissariat, le 18/5/1943. (Troisième encart à gauche) : A la 4ème inspection criminelle. Pour information après le versement de l’amende. Prise en compte effectuée. A Verser au dossier. 10/6/49

Trois mois plus tard, il sera déporté le 5 juillet 1943, comme son fils Karel vers Theresienstadt puis le 15 mai 1944 vers Auschwitz.

Un témoignage d’une rescapée permet de resituer la déportation des juifs de Prague vers Theresienstadt le 5 juillet 1942. Les juifs de ce convoi avaient reçu une convocation (rose) à se présenter avec leurs bagages dans un centre de rassemblement de Prague, où on leur attribuait un numéro qu’ils devaient mettre en évidence devant eux. Ils y restèrent deux ou trois jours. avant d’être déportés en train (normal) vers la gare la plus proche de Theresienstadt, et d’être entassés dans le ghetto.

Leni a tenté sans succès d’émigrer en France en déposant une demande de visa au consulat de France de Prague en 1939. Elle précise que son frère Oscar, établi à Courbevoie, lui versera une mensualité de 1500 francs. Le fonctionnaire n’exprime pas un avis négatif mais indique néanmoins que « son  retour n’est pas assuré ».

« L’intéressée, d’origine israélite, sollicite un visa d’une durée de 1 an. Cherche de toute évidence à émigrer en France. Son fère, M. Oskar Wachsberger,  la soutiendra financièrement en lui versant une mensualité de 1 500 Frs. Son retour n’est pas assuré »

Son (ex)-mari ne dépose pas de demande. Le document de la police de Prague de 1943 présenté ci-dessus indique qu’Alfred est divorcé, ceci pouvant expliquer cela.

Cette demande n’aboutira pas. Leni a été déportée d’Ostrava vers Theresienstadt le 22 septembre 1942 puis vers Auschwitz le 26 janvier 1943. La liste des membres déportés le 26 janvier 1943 indique que sa fille, Ilse, se touve avec elle. Ainsi, chacun des deux parents est déporté avec un de ses enfants. Ni Leni, ni Ilse ne reviendront d’Auschwitz.

Leni et Alfred ont eu deux enfants, Ilse née le 27 avril 1911 et Karel, né le 18 juillet 1917

Karel a été déporté de Prague à Theresienstadt avec son père par le convoi du 5 juillet 1943, à l’âge de 25 ans. Il a survécu, je ne sais pas encore comment, à la mort. Sur sa carte de transport, un tampon a été rajouté : PŘEŽIL, Podle Knihy, ˵TEREZIN˶ . IL A SURVECU. d’apèrs le livre « TEREZIN« . Il a émigré aux Etats-Unis. Isle a été déportée de Theresienstadtvers Auschwitz le 26 janvier 1943/ Aucune de deux n’est revenue.

En 1957, Karel effectuera, de Caracas, des démarches auprès d’Arolsen, pour obtenir, vainement, un certificat de détention en vue de déposer une demande d’indemnisation. Il lui sera répondu qu’ 

« Il n’y a aucune preuve de décès. Nous ne sommes donc pas en mesure de faire établir un acte de décès ».

En 1972,  un document du service de recherche de la Croix Rouge, précise

« Une communication de la Croix-Rouge tchécoslovaque de Prague du 25 mai 1951 montre que le transport « CS » doit être considéré comme un transport de la mort, puisque moins de 10 % des déportés sont revenus après la guerre. Il n’y a aucune preuve de décès. Nous ne sommes donc pas en mesure de  faire en sorte que les documents consultés délivrent un acte de décès ».

Fanny

Fanny est née à Opava en 1889

Elle ne s’est pas mariée. En 1931, on trouve sa trace dans l’annuaire juif de Berlin, enregistrée à la même adresse qu’Oskar : Bayerische Strasse 24.

Elle migre en France je ne sais quelle année, pour suivre de toute évidence son frère Oskar, et habitait rue Jean Bart, à Courbevoie (elle n’y est pas recensée en 1936) mais avait semble-t-il un atelier de couture rue Cardinet à Paris.

Paris soir le 25 janvier 1940
Paris soir le 5 février 1940

Arrêtée lors de la rafle du Vel d’Hiv du 16 et 17 juillet 1942, elle a été déportée de Drancy vers Auschwitz le 29 juillet 1942 avec sa belle- sœur Fanny et sa nièce Lily Hahnova.

Fiche du camp de Drancy
Fiche familiale de la préfecture de police. Ce sont ces fiches qui ont facilité les rafles des juifs, notamment celle du Vel d’Hiv.

Arthur

Arthur est né à Opava en 1891

Il a fait des études d’architecture à Vienne .

Il a fait la 1ère guerre mondiale dans le premier régiment de l’armée impériale prussienne et a été décoré en 1915 de la médaille d’or de la bravoure en « reconnaissance de sa bravoure exceptionnelle devant l’ennemi » (in annertennung hervorragend tapferen berhaltens vor dem feinbe (Fremden Blatt, 27 mai 1915). Plusieurs journaux mentionnent ce fait de guère, dont un article de journal Märisch-Schlesiche Press du 9 juin 1917.

Fremden Blatt, 27 mai 1915, p.27
Fremden Blatt, 27 mai 1915, p.27
Märisch-Schlesiche Press du 9 juin 1917

Märisch-Schlesiche Press du 9 juin 1917

Les soldats du 1er régiment durant la 1ère guerre mondiale

Que nos braves frères, pères et membres de nos familles originaires de Silésie aient fait de leur mieux au front durant la guerre mondiale, tout le monde le sait parfaitement. Nous les connaissons trop bien. Mais il n’y a que très peu de personnes qui peuvent se faire une réelle idée de ce qui s’est fait là-bas, des actes héroïques quotidiens et même à chaque heure, du don de soi, du travail incessant, des efforts, des privations et des souffrances de toute sorte.

Qui donc sait ce qu’est une mitraille permanente, une attaque, une contre-offensive s’il ne l’a pas lui-même vécu ? Qui peut s’imaginer le travail exténuant et invisible qu’on faisait dans les tranchées alors qu’on était exposé des semaines et des mois durant à la mort ? Qui donc bien tranquillement de chez soi pourrait juger ce que signifie de vivre 10 voire 12 semaines dehors par tous les temps et de se battre tous les jours sans dormir la nuit ? De passer des jours sans manger et beaucoup d’autres choses encore.
 
Chez nous en Silésie on en entend beaucoup moins parler qu’ailleurs. Cela tient au fait que le Silésien n’aime pas trop se livrer par des récits et cela explique que dans plusieurs endroits on pense de façon générale que les Silésiens en ont moins fait que les autres puisqu’on lit si peu de hauts faits de leur part.
Plutôt que de rédiger une longue litanie glorieuse, citons quelques chiffres sur notre régiment impérial qui donnent une petite idée de la somme extraordinaire d’actes héroïques et de hauts faits que ce régiment a accomplis durant les 34 mois de guerre.
Les hommes du 1er régiment ont obtenu depuis le début de la guerre 27 médailles d’or de bravoure, 279 d’argent de 1ère classe, 1253 d’argent de 2ème classe, 47 médailles d’argent de 2ème classe avec barrette, 2980 médailles de bronze, 112 de bronze avec barrette et une de bronze avec deux barrettes, 47 médailles d’argent avec couronne et 12 sans couronne.  43 médailles de fer du mérite avec couronne et 265 sans couronne ont été décernées aux braves soldats pour leurs actes de grande bravoure.

Ont reçu la médaille d’or de la bravoure : le lieutenant d’active Eduard Schwarzer, l’adjudant Grunke, le caporal portant le titre de Korporal Eduard Lux, le lieutenant d’active Heinrich Ockermüller, l’adjudant d’état-major Josef Onderka, l’adjudant d’état-major Johann Geier, l’aspirant-cadet Dr Arthur Wachsberger, …

Malheureusement beaucoup d’entre eux sont morts ou invalides.
Ont été attribués : 3 ordres de Léopold, 10 ordres de la couronne de 3ème classe, 3 ordres de François Joseph, 69 croix du mérite militaire de 3ème classe, 1 croix du mérite pour aumônier militaire, 29 citations d’argent et 127 de bronze, presque toutes ces récompenses assorties de décoration de guerre et d’épées, de plus 2 croix du mérite en or avec couronne et 7 sans couronne ornent la poitrine des officiers du régiment impérial.
Où donc y a-t-il un autre corps de troupe qui puisse s’enorgueillir de tant de gloire ?
Et en outre il faudrait mentionner tant de héros morts et autant de soldats malheureusement faits prisonniers qui auraient mérité la gloire.

Il s’est installé à Cologne dans les années 20 où il s’est marié avec Anna Lehmann, fille d’un commerçant en tissu de Cologne. Il travaille avec son beau-père tout en étant architecte .On trouve dans les archives du fonds de Moscou la trace d’un visa pour la France délivré aux 2 conjoints en septembre 1923 pour affaires commerciales. Ils ont, pour l’obtenir, donné trois références : Albert Petit & Co, rue du Mail à Paris, Feigenheimer, 21  Fbg Saint-Antoine à Paris et J. Zuber & Co à Rixheim (en Alsace).

Une page wikipédia en allemand à son nom indique qu’il a eu un certain succès comme architecte,notamment d’intérieur. Il a aussi été historien d’art au musée ethnologique de Cologne.  Il migre en Israël à Tel-Aviv en 1933 ou il monte un magasin de meubles nommé The Cultivated Home[2]. Ses propres meubles y sont vendus. Il meurt en 1943 à Haïfa.

La revue « Art et décoration » de septembre-octobre 1938 consacre un article à la décoration de la maison palestinienne et tout particulièrement à l’influence des migrations juives. Y sont mentionnés et représentés les meubles dessinés par Arthur Wachsberger


[2] Zweig, Max. 2002. Autobiographisches und verstreute Schriften dem Nachlass. Hambourg : Igel Verlag

[…] Le Juif, lui, arrive en Palestine, Européen en pays sauvage. Exilé – et il l’est toujours, mentalement, même s’il professe la foi dans une culture nouvelle, – hébraïque sur le sol ancien, il se cramponne à tout ce qui peut lui restituer l’entourage coutumier. Dans des maisons levantines, au grand hall, à la véranda profonde, les Juifs ont apporté les meubles « Renaissance allemande » qui ornaient leurs appartements de Varsovie. Quand nos architectes ont pris la construction en main, ils aspiraient, tout d’abord, à un certain style oriental, riche en coupoles et arcatures. Mais cet orientalisme n’entrait en jeu que pour la façade. A l’intérieur on se trouvait encore en Europe centrale.
L’immigration allemande, depuis 1933, commanda une nouvelle étape du développement germanique de la demeure. Dès lors, la Palestine juive est éprise de Wohnkultur -nous préférons ne pas traduire ce mot qui signifie quelque chose comme : mouvement populaire, étroitement lié avec la réforme de la vie et de l’éducation, de l’esprit sportif et de certaines tendances politiques. En France l’architecture moderne est encore affaire de bonne société ; en Europe centrale, et, partant, en Palestine, tout le monde y prend part.
Tel-Aviv, petit faubourg de Jaffa, a constitué le premier camp pour abriter les invasions successives de Juifs venus de Russie, de Pologne, d’Allemagne. Sur sa surface insuffisante, 150.000 hommes se sont installés en moins de vingt ans. Sur un lot prévu pour une habitation individuelle de dimension modeste, viennent s’élever six à dix grands appartements (4 ou 5 pièces). Les règlements ne suivent qu’insuffisamment un développement imprévu. L’exploitation du terrain est augmentée jusqu’à 40 %, cependant on maintient le type de la maison isolée, sans mitoyenneté, de trois étages. Dans des lots étroits et profonds, l’immeuble prend son extension en profondeur, ne laissant libres que des bandes étroites de « jardin » enfermées entre de longues façades de cuisines, de lavabos, et aussi, hélas ! de chambres à coucher. […]
Julius Posener, La décoration de la maison palestinienne, Art et décoration, pp.310-316
Art et décoration, septembre-octobre 1938
Art et décoration, septembre-octobre 1938

Julius

Julius est né à Opava, dont il obtient d’ailleurs la citoyenneté en 1909, mais fait ses études à Ostrava. Un certificat de fin de scolarité d’une école publique d’Ostrava de 1909 indique qu’il a fréquenté cette école de 1900 à 1909.

Permis de conduire une moto
Certificat de fin de scolarité à Ostrava

Pendant la première guerre mondiale, il est incorporé avec Oskar dans l’armée prussienne (Ici àgauche sur la photo)

Il arrive à Berlin en même temps qu’Oskar en 1923. Sa société est indiquée comme « Hut und Mützenfurnituren ». En 1925 la société s’installe au numéro 14 de Magazinstrasse. Elle est encore répertoriée en 1938 dans l’annuaire.

Julius had a manufacturing and wholesale business, JUWA in Magazinstrasse, Berlin.
Fred Wachsberger, mai 2023

Julius se marie en 1932 à Berlin avec Adelheid Kluge, qui était mannequin pour Modehaus Hammer, à Berlin. Heidi (Adeheide) est née en 1905 comme protestante luthérienne. Elle s’est convertie à la religion juive pour se marier.


Heidi was born in 1905 as a Lutheran Protestant and confirmed in the Kaiser Wilhelm Memorial Church in central Berlin. Julius was 10 years older than Heidi and being of Jewish faith was discouraged from a relationship with a non-Jew but they were certainly in love. Heidi went to Jewish faith conversion with a Rabbi and eventually they got married at a time when being Jewish in Berlin, in the 1930s was not what you really wanted to be.
Fred Wachsberger, mai 2023

Selon leur fils Fred, Julius et Heidi migrent tous les deux en juillet 1938 de Esbjerg (Danemark) en Angleterre.


Julius and Heidi made the decision to flee to England, and Julius drove 350km to Prague in Czechoslovakia to get Czech passports in the name of Wachsbergerova (a typical Czech ending to a surname there), and they used these passports to travel from Berlin to Copenhagen in Denmark. From there to Esbjerg on the west coast, sailing from there by boat to Harwich, (Parkeston Quay) in England, and onwards by train from there to London and hopeful safe asylum.
Fred Wachsberger, mai 2023

Julius et Adelhaid apparaissent cependant sur une liste de passager pour l’Angleterre du 11 février 1934 en provenance de Hambourg. Se pourrait-il qu’ils aient fait un premier voyage exploratoire à cette date ?

En arrivant en Angleterre, Julius et Heidi apprennent qu’ils ne peuvent pas rester dans la région de Londres, mais que s’ils veulent créer une entreprise et employer des gens, ils doivent se rendre dans l’une des régions à fort taux de chômage. Ils s’établissent alors à Gateshead, où Julius fonde une société « Belts and Trimmings LTD », spécialisée en boucles de casquettes pour uniformes, ceintures et garnitures pour la chapellerie et le cuir (source : Fred Wachsberger). Herbert Lobel (1978) indique dans sa thèse que cette entreprise a pu employer jusqu’à 75 personnes. Julius et Samuel Max s’associeront un temps en Angleterre avant de se séparer et de rompre leurs liens (A vérifier).

En 1941, Ils ont un fils, Fred, né à Durham.

A la fin de la guerre, Julius réussit à renouer en 1946, le contact avec son neveu Herbert, seul rescapé de la branche familiale installée en France, et l’invite à venir en Angleterre. Ce dernier a alors 14 ans (plus d’informations ici).

Herbert s’y rendra plusieurs fois par la suite. Ci-dessous, des photos prises lors d’un séjour en 1951. Herbert a 19 ans

Julius et Heidi meurent respectivement en 1959 et 1976.

Oskar est né à Opava en 1896.

Leo est né à Opava en 1898. Il grandit là mais il se pourrait qu’il ait été scolarisé, comme Julius, à Ostrava

En 1912, un article de journal, le Mährisch-schlesischer Grenzbote, mentionne en effet un concours de sténographie lors duquel un certain Leo Wachsberger, scolarisé à la Bürgerschule I, a obtenu le premier prix du groupe I « en écrivant magnifiquement 60 mots à la minute ». C’est a priori plutôt lui (il a alors 13 ans) que son cousin germain, fils de Jakob (qui a 17 ans) mais je ne peux pas en être sur.

Mährisch-schlesischer Grenzbote. 3 juillet 1912

On trouve ensuite sa trace à Berlin en 1921, à 23 ans. C’est lui qui déclare le décès de sa mère. Il habite alors Schillingstrasse 31.

En 1927 (29 ans), on trouve son adresse dans l’annuaire, comme commerçant, à la même adresse que Julius (14, Magazinstrasse).

Il disparait des annuaires de Berlin en 1930.

Leo émigre, seul, en 1937 du Havre à New-York. Il a alors 39 ans. Il est indiqué sur la liste des passagers qu’il a un frère, Max S. Waschberger (sic !) habitant au  1 Neuefriedrichstrasse à Berlin et qu’il rejoint un frère, A. Wachsberger, au 24 riverside drive, NYC.

Il s’enrolera dans l’armée américaine en avril 1939.

Il se marie avec Erna Karola Kahn à New York, le 12 mars 1941, avec qui il aura une fille, Susan, née en 1944

A la sortie de la guerre, il fait des recherches pour trouver Herbert. Ayant trouvé son nom dans un journal, Il envoie, le 6 février 1945 une lettre (Sa signature n’a qu’à peine évoluée depuis 1921 lorsqu’il signait la déclaration de décès de sa mère. Voir plus haut) à Eugène Minkowsi, neuro-psychiatre d’origine juive polonaise qui était président de l’Union-OSE, organisme qui s’occupait des enfants juifs.

A cette date, l’OSE n’avait aucune connaissance de l’existence d’Herbert qui ne figure sur aucune des listes qu’ils ont à disposition. L’OSE diligente cependant une enquête et dépose un courrier  au nom d’Herbert chez la concierge de la résidence du 1 allée du Midi (devenue rue Pierre Brossolette), laquelle habite au 100 rue de Colombes. C’est par ce biais que l’OSE finit par établir le contact avec Herbert.

Ci-dessous, le courrier de Leo, annoté par les services de l’OSE. Herbert ne figure pas sur fichier des : – listes maison OSE; – liste Sarel; – liste Suisse. Quelqu’un a aussi écrit « viendra samedi matin« , parlant certainement d’Herbert, une fois qu’ils ont reçu le mot de la concierge ?

Courrier de Leo Wachsberger à l’OSE
Mot remis à l’OSE donnant des nouvelles d’Herbert. Ecrit par la concierge ?
Copie du télégramme envoyé à Leo par l’OSE

En 1950, quelques mois avant sa mort, on trouve la trace de Leo dans le recensement de New-York, 614 5th Ave, où il habite avec sa femme Erna, sa belle mère Toni Kahn (sans profession), sa fille Suzan. Il est indiqué comme étant grossiste en boutons (Sale manager ; Button Wholesaler). Erna est comptable (book keeper).

Il décède à New-York, le 23 juillet 1950 à l’âge de 52 ans

Erna, elle, décès le 26 juillet 1985. Bizarrement, le faire part de décès d’Erna est en allemand !

Alfred est le dernier fils d’Hermann et Augusta. Il nait en 1901, 21 ans après Netty. Sa mère Augusta a alors 39 ans.

Il fait des études de médecine et émigre à New-York le 20 août 1926.  Il a alors 25 ans?

Il est indiqué sur sa fiche qu’il rejoint sa tante Henriette Isler, habitant à New-York, 1103 Franklin Avenue. Ses caractéristiques d’identifications sont : couleur des yeux : BL, couleur des cheveux : BL

Il s’établit ensuite à Sacramento comme ORL et se marie avec Adèle Sinclair avec qui il n’aura pas d’enfants. A l’issue de la guerre, il aurait proposé d’adopter son neveu, Herbert, selon le témoignage d’Herbert ( ?) et celui de Ruth (Koscher) Litman, petite fille de Gustav et Amalia (par Netty) rapporté, par Kristin Steinhof, qui rapporte, elle-même, le recueil d’information réalisé par Ken Wachsberger.



Alfred was an ear-nose-throat specialist, and did some plastic surgery as well. Ruth knew him personally, and was his patient. Because of his work Alfred had money and he was a sponsor for several family-members that left for US. Alfred died too early she said, from encefalitis, survived by his widow Adele.
 
         Oscar (1896), died with wife, Fanny Cahn, from Saar-Brucken, in Auschwitz.
 
According to Ruth, they had one son, whose name she didn’t recall but who, thirty-five years later, Fiona Wachsberger revealed to be Herbert. “They fled to Paris and hid the boy with a Gentile Family in the Alps.” Ruth said. “Oscar and Fanny were deported. Dr. Alfred W., Oscar’s brother, had contact with the son after the war. He and Adele had no children. They wanted to bring the nephew, who was an orphan, to USA, but he was very attached to the foster parents. I think he refused to come and he remained in France.”
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Les ancêtres Wachsberger de Klasno : Berl et Feigla

Berl et Feigla

Berl et Feigla (Goldstein) Wachsberger habitaient entre 1823 et 1888 à Klasno une colonie juive en bordure de Wielickza, au sein de l’empire d’Autriche (actuellement en Pologne). Le roi Sigismond Auguste avait, au 16ème siècle, interdit aux Juifs de s’installer à Wieliczka. Cette interdiction fut confirmée à plusieurs reprises au cours des décennies suivantes et maintenue jusqu’en 1867. L’interdiction était liée à la volonté d’éliminer ou de limiter la participation des Juifs au commerce du sel des salines de Wieliczka , mais aussi, par exemple, à la vente de vodka. Klasno est devenue à la fin du XVIIIème siècle le centre local de la communauté juive, comptant environ 200 à 300 personnes et environ 600 personnes dans la seconde moitié du XIXe siècle. La Constitution austro-hongroise de 1867 leva l’interdiction faite aux juifs de s’installer à Wieliczka.

Aujourd’hui, Klasno n’existe plus en tant que tel, mais on a pu retrouver sa trace grâce à un ancien plan de 1857. On y a retrouvé, difficilement, la synagogue, sauvée pour l’instant de la destruction et le cimetière, totalement abandonné.

Entre 1823 et 1888, Berl et Feigla ont eu, là, 7 enfants, dont deux jumeaux, Aba devenu Hermann et Getzel devenu Gustav, nés en 1857, et Jakob, né en 1872, dont nous reparlerons plus loin.

Les registres de naissance et décès de Klasno sont établis en latin mais la mention indiquant que Aba et Getzel sont des jumeaux est en allemand (Zwilling) et l’écriture utilisée pour remplir les cases est le sütterlin, témoignant du fait que l’allemand était la langue administrative. La colonne religion n’est pas remplie, peut-être parce que tous les habitants de Klasno sont juifs. Il est aussi indiqué pour chaque naissance le nom d’un parrain. Ici, Israël Herschthal, pour les trois frères.

Berl est mort du typhus à Klasno en 1880, à l’âge de 56 ans. Feigla est morte, elle, à Cracovie, en 1888 à l’âge de 64 ans. Je n’arrive pas à lire la cause du décès (en polonais). Il est indiqué, pour Feigla « przekupka », terme polonais signifiant vendeur (information donnée par K. Steinhof). Les registres sont, cette fois, en polonais et en allemand.